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Critique

«La Grâce», Ilya Povolotsky nous prend au road-trip

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Le cinéaste russe sublime le manque en filmant le périple d’un père et sa fille, projectionnistes itinérants en Transcaucasie.
«La Grâce» se pose au côté de vies désaffectées et avale des kilomètres de campagne suspendue au bord de nulle part. (Bodega Films)
publié le 24 janvier 2024 à 2h11

Il n’y aura eu qu’un seul film russe au Festival de Cannes 2023. Il s’est montré à la Quinzaine des cinéastes où Ilya Povolotsky, auteur autodidacte de 36 ans, né à Izhevsk (Oural occidental) et élevé aux VHS de Tarkovski ou Sokourov, présentait son premier long métrage. Un road-trip où la vitesse est absente, s’ouvrant quasiment sur une image de van à l’arrêt. Avant ça, on aura surpris une jeune fille accroupie près d’une rivière, un mouchoir taché entre les jambes. Puis regagnant à pas lents le véhicule de son père dans l’immensité d’un paysage anonyme, où une femme de passage, qui n’est pas sa mère, recevra la primeur de cette information : «J’ai du sang.» Le picaresque des rencontres de bord de route est un exemple de lieu commun qui n’occupe pas spécialement la Grâce. Et l’on pourrait continuer à énumérer comme ça ce qui, tout au long du film, refuse de se pointer au rendez-vous. Des personnages qu’on saurait désigner par leur prénom, des dialogues suffisamment nombreux pour former une conversation.

Escale impromptue

Des rares échanges attrapés par la caméra, émergent des mots durcis par l’existence en plein air, l’âpreté du rien tout autour. On entend : «On dirait que l’été est annulé.» A un colporteur de livres et autres bricoles : «Vous avez Kafka ?» Tout le monde a ici un truc à vendre sous le manteau. Pour le père et la fille, il s’agit occasionnellement de DVD porno, refourgués aux routiers à la station-service. Le reste du temps, nos héros trimballent un