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Libération
Conseil des ministres

Le contesté Dominique Boutonnat renouvelé à la présidence du CNC

Les protestations de certains collectifs du cinéma n’auront pas dissuadé le gouvernement de reconduire le producteur à la tête du Centre national du cinéma et de l’image animée.
Le président du CNC, Dominique Boutonnat, à Versailles, lundi. (Ludovic Marin/AFP)
publié le 20 juillet 2022 à 16h34

L’annonce n’est pas une surprise, et était même tenue pour acquise depuis des mois. Trois ans après une nomination chahutée à la tête du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), et alors qu’une partie de la profession a fait savoir son désaccord quant à sa reconduction, Dominique Boutonnat rempile pour un nouveau mandat.

«Il serait incompréhensible que le mandat de Dominique Boutonnat soit renouvelé», s’alarmaient les administrateurs de la Société des réalisateurs de films (SRF) dans un récent communiqué, déclarant assister depuis sa nomination à un «brouillage grandissant des frontières entre cinéma et audiovisuel, à la redistribution des aides en faveur de films déjà soutenus par le marché, à la multiplication, au sein des commissions, des critères de performance et de rentabilité».

En juillet 2019, avant même sa prise de poste, 70 cinéastes et 14 associations professionnelles avaient protesté contre l’arrivée aux affaires du producteur au profil de technocrate. Contributeur de campagne d’Emmanuel Macron et auteur d’un rapport sur le financement du cinéma l’année précédente, il y défendait la nécessité de développer une industrie d’images compétitive à l’international, consolidée par les apports du secteur privé, et l’éclosion de «champions nationaux». Les professionnels avaient été nombreux à déceler les signes d’une libéralisation décomplexée, au mépris de ce qui fonde le modèle de l’exception culturelle : la défense des structures indépendantes, de la pluralité des œuvres et des expressions singulières qui ne pourraient exister si les logiques du marché étaient seules à prévaloir.

Crise des fréquentations

Trois ans après, alors qu’une crise des fréquentations met particulièrement en péril le cinéma d’auteur, plusieurs des frondeurs d’hier estiment que le bilan de Boutonnat à la tête du CNC ne dément pas ces premières impressions. Et cherchent leur mode de riposte vis-à-vis d’un projet passé inaperçu, dans le grand plan d’investissement «France 2030» porté par l’Elysée en lien avec le CNC, «la grande fabrique de l’image». Soit une feuille de route pour le développement des «talents de demain» et la modernisation des infrastructures de production (concentrant un effort budgétaire de 400 millions d’euros), où l’on cherche en vain le mot «films» ou «auteurs», supplantés par les termes «contenus», «actifs» et «atouts».

Loin de ne s’être attiré que des griefs, Dominique Boutonnat a donné des gages de compétence et de réactivité dans un contexte de crise historique. Aucun de ses détracteurs ne va jusqu’à lui contester sa fine gestion de la catastrophe sanitaire : création dans l’urgence d’aides sectorielles d’un montant de 310 millions d’euros, sans équivalent en Europe, expertise des dispositifs d’assurance ayant permis une reprise éclair des tournages. Le président du CNC est également crédité d’avancées et chantiers décisifs dans la régulation du secteur, qui ont permis de sécuriser son avenir à court terme. Sont ainsi saluées la réforme de la chronologie des médias, et la mise à contribution historique des plateformes de streaming dans le financement de la création.

Mis en examen

Moins bien accueillies furent les déclarations de la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, au Parisien le 22 juin, qui qualifiait le producteur de «pionnier sur la lutte contre les violences sexuelles et sexistes». Sous sa présidence, le CNC a en effet fait du suivi de formations post #MeToo une condition obligatoire pour que les employeurs du cinéma soient éligibles aux aides versées par le Centre. Dans le cadre privé, le même Boutonnat est mis en examen pour agression sexuelle et tentative de viol depuis février 2021, à la suite d’une plainte de son filleul alors âgé de 22 ans. Et aucune des demandes de mise en retrait de ses fonctions n’ont été suivies d’effet. Présumé innocent, Boutonnat conteste les accusations. L’affaire fait indéniablement désordre, et des cinéastes confient avoir déjà boycotté des dîners officiels en sa présence. «Nous faisons confiance à Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, pour proposer une autre candidature au président de la République», interpellait encore le Collectif 50 /50 à l’approche de sa fin de mandat.

Le 17 mai, 185 noms (parmi lesquels Arnaud Desplechin, Camille Cottin, Marina Foïs, les producteurs Saïd Ben Saïd, Judith Lou Lévy…) paraphaient dans le Monde une tribune intitulée «Les choix politiques de nos institutions fragilisent gravement le cinéma», dénonçant en des termes plus ou moins allusifs les nouvelles orientations stratégiques du CNC, et «le risque de laisser la règle industrielle porter un coup fatal à l’exception de l’art». Les professionnels préparent la tenue d’états généraux à l’automne pour faire le point.