Spécialistes et amateurs se posent la question depuis trois décennies : comment l’un des livres les plus dingues de tous les temps a-t-il pu donner lieu à l’un des meilleurs films de l’histoire, et ce sans répondre à aucun des critères d’identification de ce qu’on appelle, dans les cours normaux de cinéma, une adaptation littéraire? Il n’y avait aucune chance sérieuse pour que le Festin nu de William S. Burroughs, publié en 1959, rencontre dans le Festin nu de David Cronenberg, sorti en 1991 (et qui ressort aujourd’hui restauré), son idéale réfraction dans le milieu filmique, et non sans s’en trouver profondément modifié.
Y compris en lui-même : car quiconque a eu accès aux deux aura tendance à raconter «l’intrigue» du «roman» – entre guillemets pour se rappeler le degré d’incertitude, ou d’implosion, auquel ces catégories y sont portées – dans les termes du scénario du film, alors que ni leur structure ni leur contenu n’ont quoi que ce soit à voir, sinon un vague univers commun, une fameuse contrée coloniale appelée l’Interzone (altération de la Zone internationale de Tanger, où vivait l’écrivain), en sus d’un ou deux personnages, dont le dénommé Lee aux contours vacillants, propulsé par Cronenberg au rang de narrateur et de protagoniste, et joué par l’acteur Peter Weller, qui n’y est ni robot ni cop, mais mille fois pire, sans aucun doute. Il avait des raisons de le faire, Lee étant un des pseudonymes ou un des alter ego de l’auteur beat américain.
C’est