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Libération
Documentaire

«L’Hypothèse démocratique», la raison d’ETA

Complexe et passionnant, le film de Thomas Lacoste se penche sur les idéaux de l’indépendantisme basque et enchâsse son histoire dans celle de l’Espagne post-guerre civile.
Le documentaire aborde la question du nationalisme basque comme une spirale infernale décimant dans tous les sens. (Nour Films)
publié le 19 avril 2022 à 23h16

L’Hypothèse démocratique dont il est question ici, c’est celle d’une révolution, qui permettrait au peuple de retrouver le pouvoir en outrepassant ce qui l’en aurait dépossédé, le pouvoir économique et financier. On la trouve énoncée par Arnaldo Otegi, haute figure de la branche armée d’ETA puis de la gauche abertzale, qui nous précise qu’elle serait la seule manière pour le peuple de retrouver sa souveraineté et décidant «de ses moyens économiques, sociaux culturels». Otegi, qui a porté la lutte indépendantiste dans toutes ses formes et subi toutes les répressions (prison, torture, exil), a le peuple basque en tête, bien sûr, quand il s’adresse à la caméra de Thomas Lacoste, mais pas exclusivement. C’est tout le projet, militant, du cinéaste – accusé de propagandisme pro-ETA à la sortie de son précédent documentaire, Pays basque et liberté – que d’enchâsser le mouvement nationaliste basque dans l’histoire européenne au sens large, et plus spécifiquement celle de l’Espagne depuis la guerre civile, dont nombre de militants estiment que la lutte abertzale est une continuation. Un documentaire non pas sur l’histoire d’ETA, même s’il en conte nombre des étapes essentielles – depuis l’assassinat en 1968 de Melitón Manzanas González, chef de la police politique franquiste, jusqu’au 8 avril 2017, jour de l’opération unilatérale de désarmement d’ETA – mais une immersion par le truchement des témoignages dans ce que l’indépendantisme basque a revêtu au fur et à mesure des décennies d’idéaux politiques, très marqués à gauche, dont le radicalisme s’est forgé, aussi, au gré de la répression et des dérives de l’Etat central en termes procéduraux et juridiques sur la question du terrorisme basque.

De «l’obscurité totale» sous Franco jusqu’aux procès politiques pendant la transition démocratique, et au-delà : faut-il rappeler que les GAL (Groupes antiterroristes de libération), pratiquant avec l’aval de Madrid une «guerre sale» (torture, attentats, assassinats) furent créés sous un gouvernement socialiste ? C’est toute la richesse de ce documentaire complexe et un brin ardu à suivre (les noms propres abondent), effectivement engagé (aucun mot sur les effets sociaux délétères du mouvement dans la communauté basque par exemple, un sujet souvent abordé en Espagne ces dernières années), que d’aborder la question du nationalisme basque comme une spirale infernale décimant dans tous les sens. Et tout à l’honneur de Thomas Lacoste de rappeler l’obsession partagée, par les «fils et filles de Guernica» et le pouvoir central, pour la résolution : «On ne doit pas laisser ce conflit non résolu à nos enfants», déclare in fine une militante, avant qu’une autre ne loue la maturité politique de son peuple. La gauche abertzale, effectivement, peut être perçue comme un désir impérieux, de très longue date, de démocratie.

L’Hypothèse démocratique, une histoire basque de Thomas Lacoste (2h20).