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Libération
Disparition

Lea Massari, comédienne italienne de «l’Avventura» et du «Souffle au cœur», est morte à 91 ans

Souvent qualifiée de «plus française des vedettes italiennes», l’actrice au générique de nombreux films des années 60 et 70 a tourné autant dans son pays natal qu’en France.
Lea Massari et Laurent Terzieff dans «la Flambeuse» de Rachel Weinberg, le 3 octobre 1980 à Paris. (AFP)
publié le 25 juin 2025 à 13h16

C’est la troisième disparition de Léa Massari, passionnante actrice italienne des années 60-70 et qui s’est éteinte à Rome le 23 juin à l’âge de 91 ans. La seconde eut lieu lors de son retrait des plateaux à la fin des années 80. La première, la plus connue, se produisit dans l’Avventura (1960) de Michelangelo Antonioni : c’est elle la brune qui s’évanouit dans la nature, recherchée en vain par la blonde Monica Vitti. «La diva discrète», titrait le quotidien la Republicca et c’est tout le paradoxe de cette immanquable beauté léonine, teint d’airain, à la voix rauque et sensuelle, au jeu instinctif mais précis, qui avait tout pour briller et conquérir le monde, mais était néanmoins percluse par la réserve et la mélancolie.

Anna Maria Massatani naît le 30 juin 1933 à Rome, dans une famille bourgeoise qui bouge entre l’Italie, l’Espagne et la Suisse – le père est ingénieur. Après qu’elle ait échoué dans ses études de décoratrice, son géniteur désapprouvera ses envies de mannequinat puis de cinéma, où elle rentre par l’entremise de Piero Gherardi, ami de la famille et décorateur de Fellini. Massari choisit son pseudonyme de Léa en hommage à son défunt fiancé Léo, mort dans un accident quelques jours avant le jour de leurs noces. Elle débute en jeune fille rebelle dans Du sang dans le soleil (1954) de Mario Monicelli, puis enchaîne tous les grands noms du cinéma transalpin comme Sergio Leone (le Colosse de Rhodes en 1960), Antonioni donc, Dino Risi (Une vie difficile en 1961), où elle affiche un certain muscle comique, notamment dans une scène de dîner sous le regard inquisiteur de ses convives monarchistes, Valério Zurlini (Des filles pour l’armée en 1965) puis le Professeur avec Alain Delon dans un de ses meilleurs rôles en 1972 mais rate Fellini et le rôle qui sera attribué à Anouk Aimée dans Huit et demi. Elle finit par s’imposer dans des rôles de bourgeoises ténébreuses, émancipées et intenses. Grâce au trafic habituel de talents entre cinémas hexagonal et italien par le jeu des coproductions, la France sera très en demande de son regard, de ses gestes et de ses silences, comme lorsqu’elle se tripote le lobe de l’oreille en expliquant son métier d’avocate à Alain Delon (déjà) avant de lui succomber dans l’Insoumis (1964), formidable film d’Alain Cavalier.

Mères mémorables, compliquées dans l’intimité

Elle est l’épouse trompée que Michel Piccoli voudrait délaisser pour Romy Schneider dans les Choses de la vie de Claude Sautet – rôle pour lequel elle obtient le prix Louis Delluc et sans doute le plus connu de ce côté des Alpes. Imper noir et gants blancs dans la scène finale muette où elle doit lire une certaine lettre laissée par son mari, elle fait une micropause avant de finalement la déchirer dans un élan impeccable de timing et de tristesse. La «plus française des Italiennes» finissait par devenir parfaitement intégrée dans le paysage pompidolo-giscardien et des rediffusions mitterrandiennes sur TF1 le dimanche soir, lorsqu’elle se fait notamment terroriser au téléphone jusqu’à l’infarctus dans la mémorable scène d’ouverture giallesque de Peur sur la Ville d’Henri Verneuil.

Léa Massari n’a jamais joué Médée mais sut composer des mères mémorables, compliquées dans l’intimité, à la fois trop proches et trop distantes : celle incestueuse dans le Souffle au Coeur de Louis Malle, qui lui vaudra d’être accusée de corruption de mineur en Italie (l’acteur jouant son fils est alors âgé de seize ans) et de passer plus de temps en France ; celle jamais à même de se rapprocher de sa fille (la comédienne Aurore Clément) même quand elles partagent un lit la nuit et que Massari doit l’écouter se confesser dans les Rendez-vous d’Anna de Chantal Akerman. Après un dernier rôle notable dans le Christ s’est arrêté à Eboli de Francesco Rosi, elle raréfie ses apparitions puis, après avoir quitté la lumière à 57 ans, s’installe en Sardaigne avec son mari, ancien pilote de ligne. Rétive aux hommages, come-back et entretiens rétrospectifs, l’ancienne passionnée de chasse qui arrivait parfois, fusil à l’épaule, sur les plateaux pour montrer qu’elle tirait mieux que les hommes, s’exprimait depuis sur la défense des animaux. Une cause à laquelle elle avait fini par se convertir après avoir tué un lapin de trop en Croatie sur le tournage de Des Filles pour l’armée.

«C’est un métier terrible»

Il y a une interview désarmante de sincérité sur la chaîne de télé suisse RTS en 1977 : le journaliste lui fait remarquer qu’elle est «très peu actrice hors des caméras». Massari répond que «c’est obligatoire et facile de fermer la porte après un tournage». On pouvait deviner dans ses yeux, dans son charmant accent, alors qu’elle est probablement au faîte de sa carrière, le prix du vedettariat chez une personne qui se demandait toujours qui diable allait garder ses chiens pendant les tournages : «C’est un métier terrible. Il a une certaine beauté mais cette beauté arrive et part au moment où on tourne. A ce moment-là, éclate quelque chose qui s’éteint au moment du stop (sic). Une seconde avant, une seconde après, c’est autre chose et je ne sais plus la classifier, c’est pas joli, ni à vous ni à moi (sic)». C’est aussi la beauté et le mystère de Léa Massari, ses sourcils froncés, qui se rappellent soudain à nous, une fois partie, «au moment du stop».