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Libération
Belle surprise

Marcel le coquillage (avec ses chaussures), c’est du beau bulot !

Dans un film tout en finesse et en élégance, Dean Fleischer Camp suit les aventures et questionnements d’un adorable crustacé.
Marcel le coquillage, doublé par l’humoriste Jenny Slate. (A24)
publié le 14 juin 2023 à 8h21

Vous savez de quoi vous auriez besoin, là, tout de suite ? D’un bigorneau avec des baskets qui fabrique de la corde avec des poils pubiens, se déplace à l’aide d’une balle de tennis et prononce Mitsubishi «Mishibibi». Un bigorneau capable de tout arrêter pour aller écouter le vent dans les arbres ou jouer de splendides marches funèbres en soufflant dans des pâtes torsadées. Un bigorneau qui s’est construit un petit bonheur personnel dans une maison en location sur Airbnb où il survit grâce à d’ingénieux systèmes – cuillère-catapulte, inhalateur-toboggan – et veille sur sa grand-mère, dernier membre de sa famille, embarquée par mégarde dans les valises d’anciens occupants. Un bigorneau discret, invisible. Jusqu’au jour où il est découvert par un réalisateur et devient le sujet d’un documentaire. Fatalement, la vidéo cartonne – qui ne voudrait pas voir un coquillage prénommé Marcel monter un mur de cuisine en rappel en s’engluant les chaussures de sirop d’érable ? S’ensuivent succès, problèmes, solutions et tout un tas de questionnements drôles et poignants sur ce qu’on peut attendre de la vie, de la mort et des commentaires YouTube.

Goule glougloutante

Adaptation d’une série de courts métrages à succès mêlant prises de vues réelles et coquillages animés en stop motion, le film de Dean Fleischer Camp n’est rien de moins qu’une des plus belles surprises de cette fin de printemps. Une merveille de finesse et d’élégance, vierge de tout ce qui parasite depuis trop longtemps ce type de production – le cynisme, la coolitude forcée, le grand couscous de la bienveillance servi avec tons pastel et bande-son piano-ukulélé. Un film d’images autant que de voix : celle de la grand-mère, momie velouteuse, doublée par Isabella Rossellini, et surtout celle du génial Marcel (interprété par l’humoriste Jenny Slate, cocréatrice du personnage), qui parle comme s’il avait 1 000 ans, timbre de goule glougloutante emportée par le courant, à la fois naïve, résignée et perpétuellement émerveillée. Un film qui «donne le sentiment qu’une part de nous était déjà prête à le recevoir» – précisément ce que Martin Amis disait du travail de Philip Larkin, dont un des poèmes sert de cœur profond au récit. Un film comme ces coquillages qu’on ramasse sur une plage et qu’on abandonne, une fois rentré, dans un tiroir – source de joie à la fois diffuse et inaltérable, dont la présence seule a quelque chose de rassurant.

Marcel le coquillage (avec ses chaussures) de Dean Fleischer Camp, avec Jenny Slate, Dean Fleischer Camp, Isabella Rossellini… 1 h 30.