Et si le cinéma était un moyen de trouver la sortie, d’échapper à la laideur du monde, «de réparer un temps malade» ? Un grand rire nietzschéen sapant nos illusions s’amuserait de ce fol espoir. Brisée nette, la vision élégiaque de l’art consolateur. «Le cinéma ne sert à rien» confiait Marco Ferreri peu après la projection de Dillinger est mort (1968), l’un de ses films les plus radicaux, prenant acte, dans un geste résolument moderne, pop et consumatoire, de l’effacement progressif de l’homme dans un monde dominé par les objets, et dont l’unique liberté consiste à en réactiver la fonction, fût-elle destructrice et mortifère. Provocatrice comme son auteur pouvait l’être, la formule parraine un livre magnifique sorti en ce début d’année aux éditions Capricci (1), une monographie alerte et concise que l’historienne du cinéma Gabriela Trujillo consacre au plus frondeur et dérangeant des grands maîtres italiens, Marco Ferreri. Un cinéaste qu’on avait fini par oublier à force de ne plus voir ses films. Comme si le succès de la Grande Bouffe (1973) et son parfum de scandale avaient oblitéré l’essentiel d’une œuvre mésestimée, pour ne pas dire invisible car très peu (ré) éditée. A croire que notre époque redoute toujours la noirceur mélancolique et la causticité rageuse de ce cinéma visionnaire et sulfureux, politique et cru, ces films lâchés comme des bâtons de dynamite, atomisant les stéréotypes de son temps. «Détruire plutôt que se résigner
Marco Ferreri, mister dynamite
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Marco Ferreri sur le tournage de «Rêve de singe» (1978). (Collection Christophe L)
par Nathalie Dray
publié le 14 février 2021 à 8h02
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