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Bimbof

«Mean Girls, Lolita malgré moi» touche le fond de teint

Le remake du carton pour ados de 2004 se veut à la page, délesté des blagues volontairement lourdingues de son modèle. Mais ainsi aseptisé et dénué de créativité, il se résume surtout à un étalage politiquement correct lénifiant.
Bebe Wood, Reneé Rapp et Avantika Vandanapu dans «Mean Girls». (JOJO WHILDEN/Jojo Whilden)
publié le 9 janvier 2024 à 23h47

Terrible mission qui est celle de toucher au culte et satirique Mean Girls de 2004 de Mark Waters, traduit Lolita malgré moi en France, ce teen-movie idéal à l’orée d’un nouveau millénaire pliant sous le règne des adolescentes en mal de reconnaissance et prêtes à s’entre-tuer pour la gloire des regards et de l’ultime diadème de bal de fin d’année. L’écriture acerbe du film aux 130 millions d’entrées planétaires dans sa contemporanéité populaire se dépliait de façon si juste que l’objet fût décliné en nombreux mèmes viraux, GIFs perpétuels, punchlines revisitées sur des pancartes en manifs féministes et autres hommages (Ariana Grande, avec son clip Thank U, Next).

La version remake de 2024 – Tina Fey, toujours à l’écriture du scénario et devant la caméra dans le rôle de la prof de maths –, s’est pourtant donnée cette mission bizarre de raviver la patine contemporaine du récit, motivation d’autant plus portée par le succès entre 2018 et 2020 d’une adaptation du film en un musical (également piloté par l’humoriste) sur les planches à Broadway, fauché en plein vol par l’arrivée du Covid. Mean Girls 2024 raconte donc dans une quasi-exactitude mais avec de la grosse musique qui tache cette fois, comme si High School Musical n’avait pas suffi, l’évolution périlleuse d’une jeune ado blanche, Cady (à l’époque, l’inoubliable révélation Lindsay Lohan, à présent l’Australienne Angourie Rice) ayant vécu une bonne partie de son enfance en Afrique, qui doit s’acclimater tardivement à la faune en plein déchaînement hormonal d’un bahut américain, le tout prise en étaux entre un duo d’amis à la marge et les «Plastiques», surnom donné à ces filles superficielles faisant régner leurs mœurs fashion auprès de qui voudrait bien rejoindre leurs rangs. Cady menace de détrôner la reine jusque-là incontestée du groupe, quitte à y laisser des plumes et une bonne partie de son âme d’enfant.

Blagues physiognomoniques douteuses

On est devant le Mean Girls actuel comme face à une maison évidée qui n’aurait plus de sens. La charpente tient encore debout mais le cœur n’y est plus. Sous couvert de revoir sous un jour moins problématique son humour d’antan (louable remise en question), le film ne semble guère convaincu de ce qu’il fait, encore moins de ce qu’il dit, constamment en surveillance de ses propres écarts ; la méchanceté s’y calme, tous les personnages jouent à vide (à part la «mean girl» ultime Regina George interprétée avec talent par la chanteuse et actrice Renée Rapp). Exit donc les «sluts» (salopes) de 2004 qui fusaient en tous sens, les blagues physiognomoniques douteuses, ainsi que les sorties clichés sur les personnes racisées, celles en surpoids, les anorexiques, les drogués et on en passe… on le comprend. Mais de quoi voulait nous faire rire le film volontairement sinon aussi et surtout en miroir de la cruelle capacité de l’être le plus dominant (souvent blanc occidental) à la bêtise crasse et la vision étriquée de tout ce qui ne lui ressemble pas ? A vouloir refaire tout ceci de manière policée, avec plus de diversité au casting et des garçons se roulant des pelles en fond, Mean Girls 2024 n’opère qu’un lifting de surface, cochant toutes les cases du politiquement correct au lieu de prospecter un humour nouveau, caustique, en somme, quelque chose qui aurait ressemblé à une vraie prise de risques.

Mean Girls, Lolita malgré moi de Samantha Jayne et Arturo Perez Jr., avec Angourie Rice, Reneé Rapp, Tina Fey… 1h52