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Droits d'auteurs

Mickey débarque dans le domaine public, Disney à l’affût sur le terrain judiciaire

Quiconque peut à partir de ce lundi 1er janvier librement copier, partager ou adapter «le Bateau à vapeur de Willie», première version de la plus célèbre des souris. Mais cela ouvre aussi la voie à de potentielles procédures légales avec la firme américaine.

Le scénario original de 1928 de "Steamboat Willie" de Disney, présenté lors d'une visite des Archives Walt Disney, le 20 juin 2023 en Californie. (Robyn Beck/AFP)
Publié le 01/01/2024 à 16h56

A l’âge canonique de 95 ans, voilà Mickey qui entre, non pas en Ehpad, mais dans le domaine public. En vertu de la législation américaine, les droits d’auteur du dessin animé le Bateau à vapeur de Willie, court-métrage en noir et blanc de 1928 qui a introduit au grand public le rongeur devenu icône de la pop culture mondiale, expirent ce lundi 1er janvier.

Une échéance bien connue des cinéastes, fans, juristes spécialistes de la propriété intellectuelle ou encore des dirigeants du groupe Disney - qui avaient par le passé réussi à faire prolonger la durée de ces droits d’auteur. Reste que quiconque pourra désormais librement copier, partager ou adapter le Bateau à vapeur de Willie et Plane Crazy – autre court-métrage animé de 1928 – tout comme utiliser les premières versions des personnages y apparaissant, dont Mickey et sa compagne Minnie.

«C’est un moment profondément symbolique et hautement attendu», souligne Jennifer Jenkins, spécialiste du domaine public à l’université de Duke. Des artistes auront ainsi le droit de créer une «version pour sensibiliser au changement climatique» du «Bateau à vapeur de Willie», dans laquelle le navire s’échouerait sur le lit d’une rivière asséchée, ou encore une version féministe dans laquelle Minnie tiendrait la barre, suggère Jennifer Jenkins.

Ce qui ne serait pas sans rappeler les dernières reprises des personnages Sherlock Holmes et Winnie l’ourson, dont les droits d’auteur ont récemment expiré.

«Accrochages légaux»

Mais pour ce faire, les créateurs devront avancer avec prudence. Dans un communiqué, la multinationale Disney a assuré qu’elle «continue (rait) de protéger (ses) droits sur les versions plus récentes de Mickey et sur d’autres œuvres restant protégées par le droit d’auteur». Les versions ultérieures des personnages, comme celle apparaissant dans le dessin animé Fantasia, sorti en 1940, restent en dehors du domaine public et ne pourront être copiées sans l’aval de Disney.

«Ce qui est dans le domaine public, c’est cette sorte de petit animal effrayant en noir et blanc», analyse Justin Hughes, professeur de droit à l’université de Loyola. Le personnage apparaissant dans ces premiers dessins animés est une créature filiforme et espiègle, assez éloignée de l’apparence actuelle de la mascotte.

Mais «la souris Mickey la plus familière des générations actuelles d’Américains va rester sous protection du droit d’auteur», poursuit-il, disant s’attendre à ce que «cela donne lieu à des accrochages légaux». Des mises en demeure pourraient ainsi être envoyées aux créateurs qui oseraient reprendre des éléments plus récents du personnage, comme son short rouge ou ses gants blancs, prédit le chercheur.

Par ailleurs, si les droits d’auteur prennent fin au 1er janvier, ce n’est pas le cas de ceux protégeant la marque déposée. Les premiers interdisent la reproduction sans licence de l’œuvre créative et expirent au bout d’une période donnée. Les seconds protègent, eux, la source de l’œuvre contre des produits qui pourraient tromper les consommateurs en leur faisant croire qu’il provient du créateur original. Ces droits-là peuvent être renouvelés indéfiniment.

«Garde-fous»

Le groupe Disney a assuré «travailler à mettre en place des garde-fous pour éviter toute confusion chez les consommateurs liée à des utilisations non autorisées de Mickey ou d’autres personnages emblématiques». L’entreprise a par ailleurs ajouté une scène du Bateau à vapeur de Willie en ouverture de tous les films d’animation produits par ses studios.

«Ils ont été très futés chez Disney : ils ont réalisé que la meilleure chose à faire était de transformer cette scène emblématique en marque déposée», relève Justin Hughes. Ainsi, toute personne utilisant à des fins commerciales cette image de Mickey à la barre du navire, s’expose à de potentielles poursuites judiciaires.

D’autres experts, comme Jennifer Jenkins, se montrent plus optimistes sur les possibilités d’utilisation liées au domaine public. «Notre Cour suprême a clairement dit qu’il n’était pas possible de faire valoir les droits de marque pour contourner l’expiration du droit d’auteur», rappelle-t-elle. Pour autant, tous les experts s’attendent à de prochaines batailles judiciaires. Le prof de droit Justin Hugues résume : quiconque compte se servir commercialement de la mascotte de Disney «devrait procéder avec précaution et avec un avocat».