Le jury de la 81e édition de la Mostra de Venise était de haute volée – présidé par Isabelle Huppert, il comptait notamment dans ses rangs James Gray, Abderrahmane Sissako et Kleber Mendonça Filho – et a composé un palmarès qui a honoré un bouquet international de cinéastes (Espagne, Brésil, Italie, France, Géorgie), rééquilibrant le tropisme majoritairement étatsunien de la compétition.
Un immense film a cependant été oublié, dont on aurait pu penser qu’il recueille les suffrages de notre Zaza nationale : le troisième volet de Jeunesse du documentariste chinois Wang Bing, inoubliable plongée dans le quotidien de très jeunes ouvriers du textile, leurs joies, leurs peines et leurs gestes de labeur effrénés. Dommage.
Lion d’or pour The Room Next Door, de Pedro Almodóvar
Voilà une récompense suprême qui marque le second sacre de Pedro Almodovar à la Mostra. Après avoir reçu un Lion d’or en 2019 pour l’ensemble de sa carrière, le malicieux Madrilène prend un nouveau départ avec son premier film en langue anglaise, The Room Next Door. Un film taillé pour les prix, avec son casting de stars (Julianne Moore et Tilda Swinton, impeccables) et son gros sujet, l’itinéraire d’une femme malade qui a décidé de prendre sa mort en main. Pour autant, Almodóvar parvient à s’en tirer avec une grâce de félin, insufflant, comme il l’a justement souligné en recevant son lion, un « Spanish spirit » à ce film américain qui aurait pu peser des tonnes. Quelque chose comme une intelligence de l’impermanence des choses et des êtres.
Grand prix du jury pour Vermiglio, de Maura Delpero
Nous avons hélas raté le deuxième long-métrage de l’italienne Maura Delpero, dont nous avions aimé Maternal, une immersion en empathie dans un couvent de Buenos Aires, refuge pour mères adolescentes. Avec Vermiglio, Maura Delpero se penche sur les origines de sa famille, dans un film qui retrace un an de la vie d’un petit village du nord de l’Italie pendant la seconde guerre mondiale. Le film sortira en France en mars 2025.
Lion d’argent - prix du meilleur réalisateur, pour The Brutalist de Brady Corbet
Sans surprise, le prix du meilleur réalisateur est revenu à Brady Corbet pour son troisième long-métrage, coup de force de plus de trois heures et demi, filmé en 70 mm (et dont la projection à Venise était une gageure à organiser, notamment pour rapatrier les 136 kg de pellicule) et mettant en scène un architecte survivant de la Shoah dont le destin se décidera en Amérique. Grand acteur (Adrian Brody), grand personnage, grand destin, le film joue la surenchère narrative et formaliste avec une verve mégalo que nous n’avons que peu goûtée. En larmes à la conférence de presse, Brady Corbet les retenait avec peine au moment de recevoir son prix. Un show sur toute la ligne.
Prix spécial du jury pour April, de Dea Kulumbegashvili
Sélectionné à Cannes pour son premier long métrage, Au commencement (2020), la cinéaste géorgienne signe un deuxième film dont le personnage principal, une sage-femme qui souffre de troubles sexuels, n’est pas sans rappeler celui joué jadis par Isabelle Huppert dans la Pianiste. Coproduit par Luca Guadagnino (reparti bredouille cette année), April ne donne pas franchement envie sur le papier, les échos évoquant de longs plans de douleur et de violence.
Prix du meilleur scénario pour I’m Still Here, de Walter Salles
Un prix bien sage pour cette édifiante histoire vraie, celle de la famille de Ruben Paiva, ingénieur enlevé dans les années 70, pendant la dictature brésilienne, et qui ne reviendra jamais. Inspirés par le livre écrit par le fils du martyre, Murilo Hauser et Heitor Lorega brossent le portrait d’une famille idéale qui sortira grandie de son combat pour la vérité…On se demande ce qu’a pu penser le compatriote de Walter Salles, Kleber Mendonça Filho, représentant d’un cinéma brésilien autrement plus ambigu et tourmenté.
Coupe Volpi du meilleur acteur pour Vincent Lindon dans Jouer avec le feu, de Muriel et Delphine Coulin
Vincent Lindon décroche son prix vénitien, après un prix d’interprétation à Cannes en 2016 pour la Loi du marché. Dans Jouer avec le feu, que nous n’avons pas pu voir, il incarne un père de famille qui élève seul ses deux ados (Benjamin Voisin et Stefan Crépon), dont l’un commence à fricoter avec l’extrême droite.
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Coupe Volpi de la meilleure actrice pour Nicole Kidman dans Babygirl, de Halina Reijn
En incarnant dans Babygirl une business woman qui découvre le plaisir en se livrant à des jeux érotiques SM avec son stagiaire, Kidman a dû rendre jalouse Huppert, elle-même friande de ce genre de rôle sulfureux qui repousse les limites de la morale. Hélas, les deux rousses n’ont pas pu se tomber dans les bras, Kidman ayant été rappelée en urgence aux États-Unis par l’annonce du décès de sa mère.
Prix Marcello Mastroianni de la révélation pour Paul Kirscher dans Leurs enfants après eux, de Zoran et Ludovic Boukherma
Le prix de la révélation a été justement remis à Paul Kirscher, découvert dans le Règne animal l’an dernier et réjouissant dans Leurs enfants après eux, avec cet autre personnage en métamorphose : cette fois, l’acteur ne passe pas du garçon au chien, mais de l’ado au jeune homme, dans un exercice périlleux d’ellipses à répétition. Huit ans dans la vie d’Anthony, et voilà le collégien mal dégrossi devenu un adulte qui porte déjà quelques regrets sur le dos.