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Libération
Pour le meilleur et pour le pire

Netflix a utilisé l’IA générative pour concevoir des effets spéciaux de la série «l’Eternaute»

L’entreprise a annoncé le 18 juillet avoir utilisé l’intelligence artificielle pour créer une scène de sa série argentine à succès.
Ricardo Darín dans «L'Éternaute».
publié le 21 juillet 2025 à 21h05

Qui n’a jamais regardé avec curiosité le making-of de son film préféré ? Pour comprendre les rouages de cette scène tonitruante, où les immeubles s’effondrent, les voitures s’écrasent les unes contre les autres, où le héros manque de perdre la vie lors d’un saut imprudent, rattrapé de justesse. C’est intriguant de voir les fonds verts, les cordages invisibles à l’écran qui retiennent les cascadeurs, ces bricolages inventifs, ces tours de magie en post-production, où les acteurs se métamorphosent en créatures fantastiques.

Magie des effets spéciaux, qui doivent suspendre l’incrédulité du spectateur, pour que le récit nous transporte. Or, le 18 juillet, Netflix a annoncé prendre un nouveau virage dans la conception de ses films - sonnant peut-être le glas, dans un futur proche, de ces diverses techniques. L’entreprise américaine a annoncé avoir usé pour la première fois de l’intelligence artificielle générative pour concevoir une scène d’effondrement d’un bâtiment dans la série argentine l’Eternaute.

Un outil plus rentable et efficace

La séquence figure à la fin de l’épisode 6. L’un des personnages a une vision - celle d’un immeuble qui s’effondre. La scène apocalyptique, baignée dans une atmosphère clair-obscur, est brève. Difficile, voire impossible pour un œil néophyte de détecter la présence de l’IA générative.

Pour l’entreprise américaine, cela représente un gain de temps monstrueux. «C’est dix fois plus rapide» - donc bien plus économique - martèle son directeur Ted Sarandos lors d’une conférence de presse jeudi dernier. «Nous restons convaincus que l’IA représente une opportunité incroyable pour aider les créateurs à rendre les films et les séries meilleurs, et pas seulement moins chers» a-t-il poursuivi, annonçant ainsi une nouvelle ère, où l’outil sera intégré aux méthodes de production de la plateforme.

Une méthode qui a ses limites

Pour Pascal Pinteau, scénariste, concepteur de trucages et auteur du livre Effets spéciaux, 2 siècles d’Histoires (Edition Bragelonne), l’usage de l’IA générative présente tout de même quelques limites dans la création de scènes, telle que cet effondrement d’immeuble. Avec les méthodes classiques d’effets spéciaux, «un réalisateur et un superviseur VFX [Visual effects] ont normalement un contrôle absolu sur la scénographie de la destruction» et peuvent ainsi gérer «tout cela pour que ce soit du grand spectacle, créé sur-mesure, et correspondant bien au crescendo de la scène avec les acteurs». Il est possible d’ajuster cela dans les moindres détails, en façonnant «un immeuble 3D avec des structures architecturales réalistes», en déterminant quelles sont «les matières des différents éléments de la structure du bâtiment», puis en décidant «du timing de l’écroulement».

De son côté, l’IA générative puise plutôt des «références qui correspondent le mieux à ce qui a été demandé, et va faire une synthèse des sources d’images réelles d’effondrements d’immeubles mais aussi d’images 3D copiées dans des films catastrophes». Le résultat risque de manquer de singularité car «l’IA ne va pas avoir soudain un éclair de génie créatif et penser à une manière originale d’aborder le plan» et risque de produire des représentations sans relief, uniformisées.

La menace du plagiat plane également, puisque l’intelligence artificielle produit des images en se basant sur un contenu préexistant. Il y a quelques mois, une enquête de The Atlantic révélait qu’Apple avait enrichi la base de données de son IA de milliers de scripts de films hollywoodien - sans l’accord de leurs auteurs. Rien ne garantit que l’outil ne plagie pas des œuvres lorsqu’il s’agira de concevoir des effets spéciaux.

L’IA envahit déjà le cinéma

Ces derniers mois, des studios hollywoodiens tel que Lionsgate, ont scellé des accords avec des entreprises spécialisées dans le secteur de l’intelligence artificielle. Et déjà des productions ont commencé à recourir à cet outil, comme le film Here, de Tom Hanks, qui a pu, grâce à cela, être rajeuni en temps réel. D’autres ambitionnent d’aller plus loin encore, tel que le réalisateur Kavan The Kid qui dit préparer une série entièrement conçue avec l’IA - La Saga des Lames Immortelles. Mais qu’une entreprise du calibre de Netflix revendique cet usage dans une série à portée mondiale, c’est une première.

Le mastodonte du streaming, comme bien d’autres acteurs de l’industrie, comptent sur l’IA générative pour produire plus, et pour moins cher. Une stratégie qui n’est pas sans inquiéter les professionnels du secteur, qui depuis plusieurs mois alertent sur la mise en péril de leur profession - qu’ils soient doubleurs, acteurs ou même réalisateurs - et réclament de toute urgence un encadrement juridique clair. Désormais, les créateurs d’effets spéciaux ont aussi du souci à se faire.