Le diptyque documentaire de Mila Turajlic, qui fouille dans les archives d’un pays disparu, la Yougoslavie, pour en faire remonter des «scènes» capables de nous parler d’un passé encore résistant, reconstitue une partie du travail filmique d’un homme, Stevan Labudovic (1926-2017), qui n’était pas cinéaste, mais caméraman, qui ne tournait pas des films, mais des bandes d’actualités, et qui ne fabriquait pas une œuvre ni une filmographie, mais menait ses combats politiques sur le front des images en mouvement.
C’est bien l’histoire d’une sorte de héros (de l’ombre, ou du hors-champ) qui nous est racontée ici à même cette figure : l’opérateur Labudovic, filmeur attitré ou préféré du président Tito, l’homme à la tête de la république socialiste de 1953 à 1980, participe, comme travailleur du film et ouvrier de l’histoire, à documenter de près des événements importants auxquels ses images donnent une existence visuelle abondante et inespérée.
«Tu leur as laissé une histoire filmée»
Deux moments ont retenu l’attention de Mila Turajlic lorsqu’il a fallu se plonger dans les bobines conservées par la Filmske Novosti, qui garde les archives des actualités yougoslaves (des «nouvelles» filmées qui continuèrent d’être projetées, on l’apprend, dans les cinémas du pays jusqu’à la fin du socialisme d’Etat, en 1989), et donnent lieu à deux films distincts, Non alignés et Ciné-guérillas. Tous deux connectent le portrait – en personne, avant sa disparition – du filmeur Stevan Labudovic avec les images qu’il a enre