Le jury de la Mostra de Venise, présidé par Julianne Moore, a donc dévoilé samedi soir les récompenses de la 79e édition. Un palmarès de bonne tenue, qui a slalomé entre les films Netflix (dont aucun n’est primé) et les ratages industriels du type The Whale de Darren Aronofsky, pour décerner le lion d’or à un modeste et beau documentaire, All the Beauty and the Bloodshed de Laura Poitras. La réalisatrice américaine, remarquée à Cannes en 2014 pour Citizenfour, autour du combat d’Edward Snowden, s’empare cette fois-ci d’une autre figure d’activiste, la photographe Nan Goldin : documentant un pan récent et peu connu de son activité – son combat contre la famille Sackler, puissant mécène des plus grands musées du monde et producteur d’oxycodone, un opioïde responsable de centaines de milliers de morts –, Laura Poitras retrace la vie de Goldin, placée d’emblée sous le signe du risque et de la douleur.
Les photos de Goldin se confondant avec sa biographie, Poitras leur donne une place centrale, faisant miroiter son passé (moments d’extase dans le New York interlope des années 80 et gros revers du sort, notamment à l’apparition du sida) avec sa bataille ultra-efficace contre les Sackler. Moment à la fois désespérant mais nécessaire du film : assister à l’audience de la famille de milliardaires, contrainte de se connecter comme tout le monde – via webcams interposées (puisque en plein Covid) – et de donner à voir, peut-être encore mieux que s’ils étaient physiquement apparus dans une salle de procès, le vide machinique de leurs regards face à l’ampleur de leur faute.
Le lion d’argent a été décerné à Alice Diop (de même que le lion du futur, remis par un jury présidé par Michelangelo Frammartino, dont nous avions adoré l’inouï Il Buco, présenté l’an passé sur le Lido) pour son exemplaire film de procès, Saint-Omer, tramé à partir de l’affaire Fabienne Kabou (l’abandon de son propre enfant sur une plage du Nord, et la mort qui s’ensuivit). La radicalité du projet, sa façon de se tenir loin de toute tentation romanesque, l’émotion particulière que les très longs plans d’audience provoquent, font de Saint-Omer un film extrêmement stimulant et qui détonne dans le paysage actuel du cinéma français. Qu’il soit reconnu est une excellente nouvelle. A noter que ce prix confirme également la puissance des producteurs Christophe Barral et Toufik Ayadi (Les Misérables), qui avaient participé à la production du lion d’or de l’an dernier, l’Evénement, d’Audrey Diwan (présente cette année parmi les membres du jury).
Le prix du meilleur réalisateur a été décerné à l’Italien Luca Guadagnino pour Bones and All, son «grand» film américain (paysages over the top et histoire d’amour fatale), presque totalement insipide mais pas désagréable. Sa jeune actrice principale, Taylor Russell, remporte le prix Mastroianni du meilleur espoir, mérité surtout si l’on compare sa prestation à celle de son partenaire de jeu, Timothée Chalamet, en service minimum de mignonnerie.
Le prix du meilleur scénario a été remis au réalisateur irlandais Martin McDonagh pour les Banshees d’Inisherin, que nous n’avons pas vu. Il remporte ce prix pour la deuxième fois, puisque en 2017 Three Billboards avait eu droit à la même récompense, avant de caracoler aux Oscars. La coupe Volpi du meilleur acteur sacre, toujours pour les Banshees d’Inisherin, Colin Farrell, qui s’est doté pour le job d’un accent irlandais à couper au couteau.
Romantique et burlesque
Le prix spécial du jury a été attribué, comme on le pressentait, au long métrage Les ours n’existent pas de Jafar Panahi. Le film, que nous avons raté mais dont les échos sont excellents, a été présenté à Venise en l’absence de son réalisateur, arrêté début juillet à Téhéran pour purger une peine de six ans de prison. Le festival et le jury avaient multiplié tout au long de cette édition les appels à sa libération, ainsi qu’à celles de Mohammad Rasoulof et Mostafa al-Hamad, également détenus en Iran.
Enfin, la coupe Volpi de la meilleure actrice revient à Cate Blanchett qui, avec son interprétation d’une cheffe d’orchestre impavide dans Tár de Todd Field, avait dès le début du festival coiffé au poteau toute la concurrence. Souveraine et malicieuse lors de la cérémonie, l’actrice a reçu son prix des mains de Julianne Moore, avec qui elle se partage les grands films de Todd Haynes (Carol pour Blanchett, Loin du paradis et Safe pour Moore).
Enfin, le très beau film de Wissam Charaf, Dirty, Difficult, Dangerous, présenté en ouverture de la section Giornate degli Autori, a reçu le prix des cinémas Europa. Cette histoire d’amour entre une jeune domestique éthiopienne et un réfugié syrien oscille avec une grande douceur entre une veine romantique et une veine burlesque, puis prend la tangente et se transforme en mélo fantastique. Imprévisible, servi par deux excellents acteurs (Clara Couturet et Ziad Jallad), baigné dans une lumière mythologique, Dirty, Difficult, Dangerous confirme le talent du cinéaste libanais. Nous aurons l’occasion d’en reparler au moment de sa sortie en salles, en 2023.