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Libération

«Physical», haltères ego

La série d’Annie Weisman plonge dans l’individualisme décomplexé des années 80 à travers une femme négligée qui trouve son salut dans l’aérobic et devient une prêtresse de la forme.
Rose Byrne en mordue du body. (Katrina Marcinowski)
publié le 29 juin 2021 à 22h49

Du fétichisme pour les années 80, on préfère retenir les plaisants artefacts (néons, synthétiseurs, gros biceps des films d’action) que l’idéologie sous-jacente, surtout américaine, de l’individualisme et du capitalisme à gogo. Physical ressuscite encore cette ère mais par le prisme de la folie de l’aérobic qui gagne alors les Etats-Unis : ou quand la théorie du ruissellement tant espérée par les Reaganomics coïncide avec les corps en sueur en body flashy. Et en opposition aux corps masculins qui allaient alors triompher sur les écrans (Stallone, Schwarzenegger et compagnie), ce sont ici des corps féminins plus tourmentés par l’effort. A San Diego, en 1981, Sheila craque comme jeune maman, négligée par son mari et souffrant de boulimie. La desperate housewife – Annie Weisman, la créatrice de Physical, a été productrice de la série du même nom – trouve une issue inattendue via la gym tonique. Dès le premier épisode, on fait peu de mystères du fait que Sheila va devenir une prêtresse de la forme, comme son modèle Jane Fonda. C’est le cheminement tortueux qui doit intriguer. Car, dans son émancipation, Sheila est surtout caractérisée par son mépris des autres et une haine de soi matérialisés par son incessante voix off intérieure («bitch»). Sheila vole, manipule, pratique le chantage mais se planque aussi dans des motels pour avaler en cachette des hamburgers à la chaîne, en se traitant de tous les noms. Cette confusion se traduit aussi, et Physical le pointe bien, par les trajectoires de Sheila et son mari, ex-étudiants radicaux à Berkeley qui passent des drogues douces à la politique locale, qui cèdent aux sirènes du chacun pour soi de Reagan. Comme Jane Fonda.

Permanente

Tout cela pourrait être strictement déplaisant et misanthrope, sous un emballage tour à tour séduisant et accusateur – la série semble plongée dans une heure magique permanente et abuse du travelling avant sur ses personnages pour mieux les acculer dans des situations gênantes. Le cinéaste Craig Gillespie, spécialiste des portraits de femmes mal léchées (Moi, Tonya et Cruella), est le bon candidat derrière la caméra pour introduire Sheila dès le premier épisode. Mais Physical ne serait pas grand-chose sans son interprète principale Rose Byrne : elle est sidérante dans son maintien d’une façade en société, alors que les démons font rage sous sa permanente frisée façon Marisa Berenson. L’acidité suinte – Physical est vendue comme une comédie noire –, le désespoir surtout. Dans ses mouvements et ses «let’s do this !» en cours d’aérobic, ses absences. Byrne, régulièrement citée dans les listes des plus belles femmes du monde, a vite élargi sa palette dans la comédie des années 2000 (Mes Meilleures Amies, Spy), dans un registre burlesque hautain aidé de regards rayons laser insistants et de sa voix suave tout en basses. Atouts que ce fréquent second rôle reprend à son compte ici en solo, éclipsant à peu près tous les autres personnages – défaut de la série, compensé par la brièveté des épisodes (30 minutes). Byrne était au début de sa carrière l’éplorée princesse Briséis dans le péplum Troie : la voici brisée et briseuse, ancêtre pas si lointaine des influenceuses qui veulent faire la pluie et le beau temps de nos vies sur Instagram.

Physical de Annie Weisman, avec Rose Byrne. Disponible sur Apple TV.