Stella, une vie allemande pourrait être l’envers de Black book de Paul Verhoeven. Dans les deux films, une chanteuse juive, dotée d’un physique «aryen», use de ses charmes pour survivre sous domination nazie. Chez Verhoeven, qui prenait le parti de l’aventure et du suspense, la jeune femme devenait espionne pour le compte de la Résistance. Cela donnait lieu au portrait d’un personnage impossible à circonscrire dans une vision simpliste de l’héroïsme, projection romanesque enveloppée de noirceur et faux semblants. Chez Kilian Riedhof, qui retrace la vie réelle de la berlinoise Stella Goldschlag, la beauté blonde devient informatrice auprès de la Gestapo, responsable de la capture de 600 à 3 000 Juifs et jugée comme collaboratrice après la guerre, avant de mettre fin à ses jours à l’âge de 72 ans.
«Victime et coupable» est la contradiction avec laquelle se débat le cinéaste allemand, élaborant son biopic en appui d’une question bien connue, qui vise l’inconfort du spectateur – «Et vous, qu’auriez-vous fait ?» Donner à méditer sur pareil destin, l’anesthésie du sens moral, la traîtrise envers les siens pour sauver sa famille de la déportation, aurait nécessité le regard aigu d’un metteur en scène bien mieux armé que ça, capable de s’enfoncer dans les ténèbres du personnage. Effrayé par son sujet, celui-ci ne sait sur quel pied danser, alternant entre effets d’identification (on la plaint) et mépris pour la délatrice (on l’exècre), sans demi-teinte. De même la partition de Paula Beer, actrice fétiche de Christian Petzold paraît virer du tout au tout, de la terreur à la monstruosité froide. Il y a évidemment de bonnes raisons de se confronter aux figures repoussantes de l’histoire plutôt que se cantonner à celles des justes, mais ce film-ci n’aide pas à les mettre au jour.