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Libération
Horreur

«Thanksgiving» d’Eli Roth, dindon de la farce

Adaptée d’une fausse bande-annonce façon slasher crapoteux, le dernier film du cinéaste américain, aux personnages détestables, enfile les clichés et prend des airs de canular forcé.
Nell Verlaque dans «Thanksgiving». (Courtesy of Tristar Pictures)
publié le 28 novembre 2023 à 3h41

Vous connaissez Eli Roth. Vous l’avez déjà croisé. Vous avez peut-être même été à l’école avec lui. C’est ce type qui faisait caca dans la piscine municipale. C’est ce gars qui pissait dans le réservoir à jus de pomme de la cantine. C’est ce mec qui glissait du LSD dans le verre d’un prof de latin à six mois de la retraite. Eli Roth est un acteur décent. C’est sûrement une personne tout à fait fréquentable. Mais en tant que cinéaste, Eli Roth est ce type, ce gars, ce mec, qui confond systématiquement, depuis plus de deux décennies maintenant, provocation et mauvaise plaisanterie d’adolescent (la série des Hostel, le désastreux remake d’Un justicier dans la ville, un hommage poussif à Cannibal Holocaust). Alors imaginez ce Eli Roth tenter de raconter avec force bruit et fureur une blague vieille de quinze ans.

Meurtres d’un mauvais goût assumé

En 2007, sort Grindhouse, double programme réunissant Boulevard de la Mort de Quentin Tarantino et Planète Terreur de Robert Rodriguez (deux films distribués séparément chez nous), entrecoupé de bandes-annonces pastichant les trailers de films d’exploitation des années 70. Bandes-annonces tellement réussies que deux d’entre elles – Machete de Robert Rodriguez et Hobo with a Shotgun de Jason Eisener – ont été transformées en long métrage, rappelant de façon cuisante qu’une très bonne idée de cinq minutes ne l’était plus forcément une fois étirée sur 1 h 30. On pensait que la leçon avait été retenue, mais c’était sans compter sur ce type, ce gars, ce mec – Eli Roth.

Qui déboule après la débâcle, avec l’adaptation de son trailer Thanksgiving, crapoteux slasher aux couleurs ternes et au tueur sadique, sur fond de célébration des pères pèlerins. Un projet qu’il esquinte sans attendre, décapant son vernis seventies pour l’emballer comme un énième avatar de Scream, et fait ensuite couler à pic en franchissant la limite qui sépare l’exercice de style de l’enfilade de clichés. Les références abondent, souvent évidentes (Halloween, Massacre à la tronçonneuse), parfois moins (Bloody Bird de Michele Soavi). Les personnages réussissent cette prouesse d’être tous à la fois détestables et transparents. Les meurtres, d’un mauvais goût assumé dans le trailer originel, sont soigneusement édulcorés. Et le ton général est au canular forcé – la phrase d’accroche de l’affiche, «Cette année, il n’y aura pas de restes», n’est pas seulement prononcée dans le film : elle est hurlée (deux fois). Unique sursaut de ces presque deux heures : un Black Friday qui vire au massacre involontaire, scène d’horreur pleine de coups retors, de doigts piétinés et d’os qui craquent, sans tueur ni machette, juste l’être humain et son enfer ordinaire, poussé à un paroxysme aberrant. On ne saurait que trop conseiller à Eli Roth de creuser ce sillon à l’avenir. Histoire qu’on se souvienne de lui autrement que comme ce type, ce gars, ce mec.

Thanksgiving d’Eli Roth, avec Patrick Dempsey, Ty Olsson, Gina Gershon… 1 h 46