«L’une des images marquantes pour moi, ça a été la palme d’or d’honneur à Cannes en 2019. Pas simplement parce que nous avons rendu hommage à Alain Delon, mais pour la manière dont cet hommage a résumé beaucoup de choses de ce qu’il était. C’est-à-dire à la fois la star absolue, face auquel les photographes sur le tapis rouge sont immédiatement intimidés et impressionnés, mais aussi la personnalité clivante, puisque l’annonce de cette palme d’or avait autant suscité l’enthousiasme que des réserves. Il y a des gens qui trouvaient que c’était le moment de lui dire les raisons pour lesquelles on l’aimait, d’autres les raisons pour lesquelles ils ne l’aimaient pas. Il avait déjà plus de 80 ans et on sentait, dans la manière dont il a surmonté tout ça, que cette controverse appartenait à un monde qui n’était plus le sien. C’est d’ailleurs ça qui transparaissait dans ce discours d’adieu – ça disait, c’est la dernière fois que vous me voyez, j’ai l’impression d’avoir terminé mon parcours, et on ne l’a en effet pas revu.
«Quand on s’était parlés un peu avant, que j’avais évoqué le bruit sur les réseaux sociaux, il m’a dit : “Ah bon, je ne lis rien.” Si ce n’était pas dans les journaux papier, ça n’existait pas pour lui. Et puis il avait choisi de montrer Monsieur Klein, film qu’il a produit, qu’il a voulu, et qui cristallise beaucoup de choses pour lui qu’on a prétendu à tort d’extrême droite, et qui se retrouve à tourner pour la deuxième fois avec Losey, un film qui évoque l’occupation et la déportation des Juifs. D’une certaine façon, cela démentait toutes les interprétations politiques qu’on a pu avoir sur lui. L’hommage n’était pas béatement célébratif, on avait le sentiment de le voir faire le tombeau de sa propre vie artistique, un moment testamentaire, la somme des conclusions et réflexions qu’un homme peut se faire sur son parcours. Il était l’un des premiers à avoir compris à ce point comment prendre soin de sa carrière et se raconter à travers sa propre image. Sous le côté glacial du héros melvillien, c’est quand même un type qui s’est pas mal livré sur sa vie, s’est déboutonné, on sait beaucoup de choses sur Delon. C’est ça qui le rendait d’une certaine façon humain. Et précisément il est d’autant plus humain qu’il n’est plus là aujourd’hui.»