«On a décidé de faire un Festival sans polémique», a déclaré à la presse le délégué général Thierry Frémaux, jamais à court d’un coup de génie, avant de le répéter sur France Inter, l’air agacé de se voir entre-temps présenté «sur un tapis de braises» par la une rouge de Libé. «On a pris soin de faire en sorte que l’intérêt majeur de ce pour quoi nous sommes tous ici reste le cinéma.» Ceci sur fond d’un #MeToo français gagnant en puissance, et des revendications sociales des travailleurs de festivals de cinéma dans la «dèche», et après les zbeuls de l’an dernier : plus encore que la complaisance dénoncée envers un Johnny Depp cancelled, le vœu pieux «peace and lové» de Frémaux semble vouloir éviter le genre de feu aux poudres provoqué par le discours anti-macroniste de Justine Triet recevant la palme d’or, peu apprécié par l’institution.
Dans la famille des grands festivals, la dernière Berlinale, qui consacrait Dahomey de Mati Diop, aura été la caisse de résonance de la crise politique et éthique mondiale sur la Palestine, les prises de position anticolonialistes des cinéastes invités déclenchant la fureur des politiciens allemands. Cannes, festival de la pensée magique, parenthèse enchantée ou abri antiatomique (son affiche rend bien hommage au film de Kurosawa sur Hiroshima), ne veut pas de problèmes, mais du cinéma et rien d’autre. Des films tous d’amour et d’eau fraîche comme autant de refuges hors du monde ? C’est naïf si ça veut nous faire croire que les embrouilles s’arrêtent quand les lumières s’éteignent dans la salle. Pour nous, en fait, elles commencent. La critique au tison – et pas au coin du feu. On est venus pour souffler sur les braises, à condition qu’elles rougeoient dans les films, n’en déplaise au capitaine des pompiers.