Tout premier film est une naissance de son auteur au cinéma. Mais rares sont ceux qui y mettent en scène l’aventure d’un regard. On songe par exemple au Chien andalou de Buñuel, l’éclatement au rasoir d’une pupille plein cadre. Dans la Complainte du sentier (1955) de Satyajit Ray, premier volet de la Trilogie d’Apu, qui allait signer l’acte de naissance d’un immense cinéaste et le révéler à l’international, une scène y fait écho. Dans la pénombre, une fillette vient réveiller son petit frère dont le visage est enfoui sous un drap de chanvre. L’enfant restant endormi, elle glisse sa main sous le tissu, dévoile une paupière fermée que ses doigts opiniâtres écarquillent de force, l’obligeant en somme à s’ouvrir et à voir. Comme si, le regard n’allait pas de soi, était le fruit d’une lutte entre le sommeil et la veille, le tumulte de l’invisible que le visible ne dissipe jamais complètement. Le monde enfantin est tout entier cinématographique semble nous dire Ray. Ce qu’il regarde, il le fictionne et le transforme, alchimie immédiate, en jeux, fables et éclats merveilleux. L’enfance telle que décrite dans ce premier film est un monde flottant et métamorphe, une conscience qui s’ignore encore comme telle et s’offre à nous sous le prisme d’un regard rêveur.
Bulles de temps à l’état pur
Adapté d’un classique de la littérature bengalie, Pather Panchali, roman de Bibhutibhushan Bandopadhyay (ou Banerji c’est selon), la Trilogie d’Apu prend ainsi la forme d’un récit d’apprentissa