Le voyage en Afghanistan a été un des passages obligé des Européens itinérants en recherche post-romantique de dépaysement orientaliste comme en témoignent les récits la Voie cruelle d’Ella Maillart ou l’Usage du monde de Nicolas Bouvier. Jeune intellectuel américain ayant grandi en Oregon, James Ivory décroche une bourse Rockefeller pour tourner un documentaire sur les miniatures indiennes (The Sword and the Flute, 1959) mais ne supportant plus la chaleur de l’Inde, il fuit en direction des montagnes tempérées entourant Kaboul. Le titre original, A Cooler Climate, indique ainsi ce mouvement de pur confort qui le conduit dans un pays dont il ne sait à peu près rien mais où il va continuer à tourner des images en vue d’un autre documentaire, finalement jamais monté.
Lente découverte de son homosexualité
Coréalisé par Giles Gardner, ce court film d’1h15 demeure très superficiel sur l’Afghanistan traversé et contemplé comme le décor exotique d’un pays ayant peu évolué depuis des siècles et où les hommes en turban occupent déjà l’essentiel de la vie sociale. Ivory raconte en voix off la lente découverte de son homosexualité entre chastes rencontres avec des Afghans, anglophones ou non, et lecture sous la tente de Du côté de chez Swann mais surtout du Babur-Nama, autobiographie sensible du premier Grand Moghol des Indes (1494-1529) où l’attirance pour un vendeur au marché de Kaboul fait déjà l’objet de pages incroyablement directes.
Retour mélancolique sur des débuts entrelacés
Le réalisateur de Maurice, des Vestiges du jour et coscénariste de Call Me by Your Name est un vieillard nonagénaire que l’on voit déambuler tel un fantôme dans les pièces encombrées de livres, de dossiers, de cartons, dans sa grande demeure patricienne. Il est assez émouvant de l’entendre évoquer (hélas sur une musique envahissante d’Alexandre Desplat) sa rencontre à New York avec le producteur Ismail Merchant, né à Bombay, qui lui fait rapidement rencontrer l’écrivain Ruth Prawer Jhabvala à New Delhi. Le trio – «un musulman indien, une Allemande d’origine juive et un protestant américain», comme le décrivait Merchant – sera d’une longévité inédite, avec une vingtaine de films en commun à leur actif. Ivory leur a survécu et ce retour mélancolique sur ses débuts entrelacés des images vaporeuses d’un Afghanistan pré-talibans (mais déjà théâtre de la rivalité entre URSS et Américains) est aussi un hommage aux chers disparus. Un autre documentaire, Ivory Merchant, signé Stephen Soucy a été tourné, monté, mais reste toujours inédit chez nous.