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Cinéma

«Un été en Louisiane», entre vous émois

L’ultime chef-d’œuvre de Robert Mulligan, premier rôle de Reese Witherspoon au cinéma, gamine de 14 ans pressée de vivre ses premières amours, ressort en coffret DVD-Blu-ray. Un bijou de délicatesse.
Reese Witherspoon et Emily Warfield, sœurs rivales dans «Un été en Louisiane», en 1991. (Bridgeman Images)
publié le 15 août 2024 à 16h57

Le jour s’est éteint mais il fait encore si chaud dans cette demeure typique du sud de la Louisiane, avec son porche et sa terrasse abritée, que les filles de la famille Trant (dont les bienveillants parents attendent un quatrième enfant) se sont aménagé un coin pour dormir dans la véranda, qu’inonde l’éclat bleuté de la Lune. Avec sa silhouette encore fluette d’adolescente prise entre deux âges, à peine sortie de l’enfance mais pas encore une jeune fille, Dani, 14 ans (merveilleuse Reese Witherspoon dans son tout premier rôle au cinéma), comme à son habitude rêvasse sur son lit en écoutant la voix de velours d’Elvis Presley, son idole – et celui de toute une jeunesse, nous sommes en 1957 –. Tandis que l’aînée, Maureen, 17 ans, se déshabille pour la nuit, dévoilant des courbes nettement plus féminines et une beauté juvénile dont on ne tarde pas à apprendre qu’elle affole tous les garçons du coin, subissant et repoussant leurs assauts (dans la piquante scène du bal). Car, en réalité, des deux sœurs, c’est la plus âgée dont l’élan encore enfantin révèle les aspirations les plus romantiques, quand la cadette semble plutôt pressée de connaître ses premiers baisers, tout en désespérant de ne jamais avoir la finesse et le succès de son aînée.

Regard intimiste

L’amour espéré, l’éveil des sens, le corps encombrant, trop maladroit ou trop sexué, l’admiration et la jalousie diffuse n’excluant pas la complicité… Tous les heurts du coming-of-age, ce passage à l’âge adulte dont l’antagonisme des deux sœurs décline les nuances, nous apparaissent dès les premiers plans d’Un été en Louisiane (1991), petit bijou de délicatesse et de mélancolie – sorti en coffret DVD /BluRay chez Rimini Editions – mettant un point final à la courte filmographie de Robert Mulligan, cinéaste discret, dont le regard intimiste et la finesse du trait, paré d’un classicisme élégant, s’est souvent porté sur les tourments de l’enfance confrontée à la brutalité du monde des adultes (l’Amérique ségrégationniste dans Du silence et des ombres ; la guerre, théâtre des premiers émois d’Un été 42 ; la solitude, la folie et la mort dans l’Autre, film-matrice du cinéma fantastique).

Lumière duveteuse

L’enfance endeuillée dans un univers à la fois lumineux et ombré de mystères… Tout ce qui fait le cœur vibrant du cinéma de Mulligan (spielbergien par anticipation, dirait-on), innerve son ultime chef-d’œuvre, délicate chronique rurale implantée dans ce Sud cher à Mark Twain, Emerson ou Thoreau. Avec sa nature radieuse, magnifiée par la lumière duveteuse du grand Freddie Francis (dans les années 80, il travaille avec Lynch sur Elephant Man puis Dune), la pastorale se fait le cadre idyllique d’un récit initiatique où amours adolescentes tutoient perte de l’innocence. Notamment par la rencontre du jeune voisin Court, avec lequel Dani partage baignades et jeux d’eaux dans l’étang infusé de reflets iridescents – moments suspendus d’une grâce inouïe. Il ne tarde pas à supplanter Elvis dans le cœur de la gamine, rêvant qu’il l’embrasse, avant de comprendre lors d’un dîner cruel qu’il lui préfère sa sœur. Au fil d’événements tragiques, dépeints avec sensibilité et justesse, la gravité s’insinue dans le cœur des jeunes filles, et chacune fera l’expérience d’un double voire triple deuil : la mort d’un être cher, la déception amoureuse, la trahison menaçant de briser leur complicité. Auquel s’ajoute une réalité terrible : les plus grandes douleurs sont aussi les plus solitaires, silencieuses et impossibles à partager.

Un été en Louisiane de Robert Mulligan (1991), avec Reese Witherspoon. Coffret DVD /Bluray (Rimini Editions).