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Libération
Horreur

«Veneciafrenia» souffre de quelques lagunes

Pataud et mal dialogué, le long métrage horrifique d’Alex de la Iglesia séduit tout de même par son regard naturaliste porté sur une Venise décrépite.
«Elle est bizarre la version italienne de “Je te tiens par la barbichette”, non ?» (Pokeepsie Films)
publié le 9 mars 2024 à 15h53

Aux premières heures du déconfinement, en mai 2020, Prime Video et Sony annonçaient la signature d’un accord avec le cinéaste Alex de la Iglesia, le chargeant de créer une «Fear collection» au petit air de revival puisque au réalisateur du Jour de la bête s’ajoutaient d’autres grands noms du fantastique ibérique : Jaume Balagueró (Rec), Paula Ortiz (la Novia)… Enfin mis en ligne par le streamer deux ans après sa sortie espagnole, Veneciafrenia lance aujourd’hui une collection dont le nom n’apparaît plus sur la moindre communication de Prime Video et dont seule la sortie imminente du Venus de Balagueró semble indiquer qu’elle n’a pas complètement disparu. Pis, Veneciafrenia débarque en anglais et en français mais sans sa version espagnole d’origine. L’amour du travail bien fait.

Embrochages

Petit film qui souffre d’être régulièrement pataud et assez mal dialogué, Veneciafrenia ne devrait pas se relever de l’outrage de ces doublages rentrés au chausse-pied, écrasant au passage tout son d’ambiance. Sauf qu’on a à son égard un peu de mansuétude, trouvant dans ce mauvais traitement une forme d’écho au sort historiquement réservé au cinéma de genre, à commencer par le giallo, dont Alex de la Iglesia nourrit son film. Malgré ses maladresses, le film séduit par le regard naturaliste, presque détaché et volontairement terne, qu’Iglesia pose sur Venise. Aux vieilles pierres se mêlent des murs décrépis et graffés, des grilles de chantier moches et des boutiques touristiques.

En refusant d’idéaliser la ville comme ses touristes en quête d’un décor façon Las Vegas, en refusant de céder à la carte postale, il creuse une distance avec ses personnages, comme pour mieux les jeter en pâture à un trio de Vénitiens costumés – un médecin de peste, un arlequin et surtout un terrible Rigoletto – décidé à nettoyer la lagune des hordes de visiteurs crachés des paquebots géants qui la défigure. A la terreur diurne d’embrochages crus, transformés en happenings carnavalesques par des foules qui ne voient plus le monde qu’à travers le miroir déformant du portable, se superpose une série de belles cavales nocturnes dans le même réseau labyrinthique de ruelles que captait Nicolas Roeg dans Ne vous retournez pas. Au moment de son finale baroque et grand-guignolesque, Alex de la Iglesia a suffisamment bien travaillé son spectateur pour qu’il ne sache plus avec qui, de la victime ou du bourreau, il doit compatir.

Veneciafrenia d’Alex de la Iglesia, sur Prime Video, 1h20.