Le meilleur cinéaste de notre temps, qu’une exposition au BAL et une rétrospective à la Cinémathèque rendent entièrement disponible ces jours-ci aux passants parisiens, est et reste une sorte d’énigme. Mais les sphinx et les cinéastes nous l’enseignent, la réponse à l’énigme a toujours forme humaine. Né en 1967 à Xi’an, capitale de la province du Shaanxi au centre de la Chine, Wang Bing adressait au monde son premier film, A l’ouest des rails, en 2003 : un chef-d’œuvre, si le mot a un sens en ce siècle, de neuf heures et quatorze minutes, décrivant le démantèlement d’un immense complexe industriel à Shenyang, dans le nord-ouest du pays, et avec lui les vies, les mouvements, les pensées des derniers ouvriers du lieu au cœur de sa disparition.
Tournant sans relâche et tout seul, sur plusieurs années, petite caméra aux mains, prêtée par un ami au temps du numérique balbutiant, Wang Bing inaugurait un geste et un trajet poursuivis depuis sans arrêt, par la vingtaine de films qui ont suivi : «l’œil qui marche», comme le titre de l’exposition le désigne, cette présence-absence singulière du corps d’un filmeur solitaire, arpentant l’existence des autres aux quatre coins d’un pays immense, exploré au plus fort de sa transformation matérielle, historique. Cinéma de peu de mots, exprimant tant de choses, ne croyant à aucun discours mais, dur comme fer, en une seule issue : le temps passé, en mesure suffisante, par les plans, en présence des personnes rencontrées, des corps dans