C’est en lente lévitation que l’on entre, une fois chaussées les lunettes 3D, dans l’univers d’Anselm Kiefer. Plus précisément, dans un recoin boisé du site de La Ribaute, cette ancienne filature à l’orée de Cévennes où l’artiste allemand s’est établi pendant une trentaine d’années, jusqu’à très récemment. Le geste et l’image sont feutrés, des robes vides plantées dans le paysage comme de vieux cocons de lépidoptères désertés, une voix chuchote. Il sera beaucoup chuchoté, chantonné tout au plus. Quant au sujet, Anselm, il sifflote. En farfouillant dans des étagères démesurées à la recherche de matériaux, en flanquant de gros coups de truelle sur une toile en construction (un champ, échelle 1:1, qu’il semble labourer), en se baladant à travers La Ribaute, œuvre d’art de 40 hectares… Wim Wenders fait le portrait de l’artiste et ce portrait n’en finit pas d’être délicat et caressant quand son sujet, lui, manie à pleines mains une matière trop lourde pour un seul homme, qu’il s’agisse de l’histoire allemande ou du plomb dans lequel il la coule (premier éclat artistique controversé, en 1969 : se prendre en photo faisant le salut nazi dans des paysages idylliques, à une époque où l’Allemagne veut tout sauf remuer son passé).
De cette dissonance naît un malaise assez singulier, comme une longue balade à travers un magasin Muji qui vendrait, dans un voile délicat d’huiles essentielles, des taille-crayons à croix gammées. Au-delà de l’intérêt biographique, on apprécie l’extrême artificialité de cet objet dont le protagoniste, malgré l’enrobage doucereux, demeure d’une antipathie et d’une froideur totales, quand les documentaires sur les vedettes pop tendent à vouloir simuler une proximité ou au moins quelques connivences avec leur spectateur (voyez, elle était une enfant comme vous, avant de devenir cette icône que jamais vous n’approcherez). Tout au plus Kiefer accepte-t-il d’être un guide (toujours en noir, cigare aux lèvres) qui indique à Wenders où promener la caméra.