«C’est le courage d’Annie Ernaux qui me frappe, et au-delà du courage, sa manière de ne pas avoir peur. Elle ose formuler ce qu’on cache habituellement, ce dont on a honte, qui est, dans Passion simple, l’asservissement amoureux, la capitulation devant un homme – ce pourrait être celle d’un homme devant une femme. Il faut oser écrire : «A partir du mois de septembre de l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme et qu’il me téléphone.» J’ai pensé que je pouvais me reconnaître en elle, aussi bien dans son sentimentalisme que dans la radicalité de sa décision. La grande force d’Annie Ernaux est de se prendre comme un exemple, un prototype, de se regarder, de parler de nous à travers ce qu’elle vit. Elle a cette lucidité au cœur de la passion, cette inconscience de s’adonner à des expériences extrêmes et la lucidité qui permet le récit. En allant à notre premier rendez-vous, je m’étais dit : «Si elle m’intimide, si elle me prend de haut, j’abandonnerai ce projet de film.» Mais je me suis trouvée face à une femme humble, et en dépit de la différence d’âge, j’étais avec une sœur, une amie. Elle m’a dit qu’elle ne participerait pas à l’écriture du scénario, ce qui m’a fait du bien. Et qu’elle n’était pas d’accord sur deux points du script dont l’un portait simplement sur la couleur d’un costume. «Je n’ai jamais porté de manteau gris.» Cela me montrait qu’elle allait très loin dans l’obsession de l’exactitude du souvenir. Son autre bémol concernait une scène où la femme de mon film exposait sa honte sociale à son fils et espérait qu’il ne vive pas la même chose. Annie Ernaux m’avait dit : «Cette femme ne peut pas dire cela car le seul moment où la honte a disparu de ma vie, c’est lorsque j’ai vécu et écrit Passion simple.» Le montage n’a effectivement jamais accepté cette scène, comme il a refusé toutes les scènes qui s’éloignaient du couple. Comme quoi elle avait raison.
«Quand on m’a demandé d’écrire dans la revue de l’Herne qui lui ai consacré, j’ai titré mon texte “Annie, une punk”, car Annie Ernaux est très punk. C’est une femme révoltée, la révolte est l’un des points inextinguibles de sa personnalité.»