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«Dédales» à l’écran, «Radio Daisy» à Paris Eté, «Flesh» à Avignon… Les choix du service culture de «Libé» cette semaine

Perdus au multiplex, hagards à la librairie, déboussolés devant les plateformes de streaming ? Vous ne savez que voir, lire, écouter, faire en cette fin de semaine ? La team Culture vous donne quelques conseils.
publié le 23 juillet 2022 à 7h43

Cette semaine, nous avons aimé, entre autres, un étonnant polar intitulé Miracle en V.O. et Dédales en V.F signé par un cinéaste roumain, Bogdan George Apetri, professeur de cinéma à la Columbia University. On recommande aussi pour vivre une contre-expérience aux utopies du retour à la ruralité, le drame As Bestas de Rodrigo Sorogoyen dans lequel Denis Ménochet découvre un aspect de la Galice qui lui avait échappé avant de décider de lancer dans le potager bio! Si vous êtes sur Paris, ne manquez pas le voyage auditif et submersif de la scenographe bordelaise Cécile Léna et où que vous soyez, vous pouvez plonger dans la discographie encore méconnue en France du groupe américain Redd Kross. Et pensez à vous hydrater.

Cinéma

«Dédales» de Bogdan George Apetri, plongée en eaux doubles

Il faut très vite accepter de se perdre dans Dédales, parce qu’on ne va faire que ça, dès les premières images. Des gens hurlent, passent des coups de fil, prient. On comprend vaguement qu’on se trouve dans un couvent, quelque part en Roumanie. Une des jeunes nonnes, qu’on suit à même le visage, en plans serrés, frémissants, semble inquiète, le tic-tac d’une horloge égrenant inexorablement les secondes au-dessus d’elle. Elle finit par se retrouver à l’extérieur où, avec des manières de voleuse à la tire, elle traverse une cour, s’engage sur une route et, à l’abri des regards, monte dans un taxi. Elle se rend en ville, dit-elle, voir un médecin. Durant le trajet, le monde extérieur lui saute progressivement à la figure: condescendance patriarcale du chauffeur, ivrognes qui s’accrochent aux portières, musique braillarde qui jaillit de l’autoradio. La réalité aussi – un passager lui dit qu’elle aurait dû aller voir le médecin plus tôt: «On ne guérit pas en priant!» Une fois sur place, elle suit un itinéraire étrange, plein de fausses pistes et de rendez-vous changés, reportés, pas honorés. Notre article.

Dédales de Bogdan George Apetri, avec Ioana Bugarin, Emmanuel Parvu, Cezar Antal… 1h58.


«As Bestas», la Galice jusqu’à la lie

Après son portrait d’un homme politique corrompu, lâché par tout le monde dans El Reino puis une histoire de relation entre une mère ayant perdu son enfant et un adolescent qu’elle identifie comme le disparu (Madre), le cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen poursuit son investigation de ce qu’on pourrait appeler les limites du jeu social, ce moment où ce qui fait l’évidence bien réglée des relations professionnelle, amicale ou familiale se trouble et se réorganise autour d’un noyau, non plus de concorde, mais d’angoisse et de violence sourde. Notre article.

As Bestas de Rodrigo Sorogoyen avec Marina Foïs, Denis Ménochet… 2 h1 7.


«La Nuit du 12»: l’enfer, c’est les hommes

Quand elles ne crèvent pas les yeux, c’est bien connu, les évidences rendent aveugles. La Nuit du 12 met en face d’une de ces évidences telles qu’on ne les voit plus, arpentant l’espace infime entre la banalité et l’impensable. On sort sonnés d’y avoir appris, comme pour la première fois, que la misogynie est le sujet fondamental du polar. Qu’à travers nos films policiers, nos romans noirs et nos faits divers, s’écrit encore et toujours l’effarante biographie de la gent masculine. Notre article.

La Nuit du 12, de Dominik Moll, avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Théo Cholbi (1h54)


Expositions

«Radio Daisy», de Cécile Léna: le meilleur des ondes

Rares sont les occasions de voir une voiture garée dans la cour intérieure d’un lycée. Encore moins lorsqu’il s’agit d’un modèle ancien, qui a suivi un singulier trajet, pour à la fois finir désossé et renaître en vedette (bien que n’étant pas une Ford) d’un projet artistique, ici inscrit dans le cadre du festival ubique et pluridisciplinaire (théâtre, danse, cirque, performance…) «Paris l’été», étalé sur trois semaines en juillet. La Panhard noire est donc là, taxi avec compteur-conteur à l’ancienne qui attend ses passagers, au nombre maximum de deux, assis sur la banquette arrière, le temps d’une course statique de quelques minutes, où, par le son diffusé et l’image projetée, on traversera notamment le Casablanca de Michael Curtiz sur l’air inaltérable de Play it Again, Sam, tandis qu’à travers le pare-brise, tombe une pluie spleenétique. Notre article.

Radio Daisy, de Cécile Lena, dans le cadre de «Paris l’été», lycée Jacques-Decour, entrée libre, jusqu’au 30 juillet, puis en tournée, à Mâcon du 9 septembre au 8 octobre, Le Mans du 14 octobre au 5 novembre… www.lenadazy.fr


Shirley Jaffe se la couleur douce à Pompidou

Une ligne orange qui longe le bord supérieur du tableau, part en vrilles. Au-dessous, un rectangle noir renonce à se clore sur lui-même en prolongeant exagérément un de ses côtés, tandis qu’une barre verte en dents de scie divague au milieu de la toile, débordée de toute part par des escadrilles de formes toutes aussi irrégulières. Intitulée The Brown Frame (2011), elle semble avoir espéré les contenir en traçant sur les bords un cadre marron. Mais c’est peine perdue : la ribambelle de motifs aux couleurs vives dépasse allègrement les limites. Cette œuvre de Shirley Jaffe est à l’image de beaucoup d’autres exposées dans la rétrospective que le Centre Pompidou consacre à l’artiste américaine, morte en 2016 : contrariant la régularité habituelle de la géométrie, elle la fait dériver, la tord, l’étire et fait du tableau une espèce de terrain vague où les formes gesticulent et se bousculent, sans jamais trembler. Notre article.

Shirley Jaffe, «Une Américaine à Paris», au Centre Pompidou, à Paris, jusqu’au 29 août.


Au centre Pompidou, Tatiana Trouvé a le sens de la désorientation

Dans la pénombre de la vaste salle du centre Pompidou, où se tient l’exposition de Tatiana Trouvé, certains de ses grands dessins, avec leurs fonds vert absinthe ou gris métallique, prennent un éclat incandescent tandis que d’autres, charbonneux, semblent camoufler leurs motifs dans la noirceur des lieux où ils sont suspendus à des fils. Tableaux volants, tous, cependant, figurent des espaces indéterminés qui pourraient être un atelier ou une galerie (puisqu’il y a des cimaises et des œuvres) dont on ignore toutefois si l’expo est en cours d’accrochage (il y a des échafaudages) ou bien si le projet a été laissé en plan et puis abandonnée aux herbes folles, lianes et monceaux de terre qui l’envahissent. Notre article.

Tatiana Trouvé, le Grand Atlas de la désorientation, au centre Georges-Pompidou, à Paris (75003), jusqu’au 22 août.


Musiques

«Neurotica» de Redd Kross, on y croix encore

Cheap Trick, les Replacements, Ween : il en existe des dizaines comme ça. Des groupes élevés au rang d’institution aux Etats Unis dont la notoriété frise le néant chez nous. Largement ignoré en Europe, Redd Kross n’a pour sa part jamais quitté les voix de traverse à domicile non plus, alors que tout le monde lui prédisait un parcours à la Sonic Youth ou Nirvana. Il faut dire que le groupe, issu de la scène punk sud-californienne où il a été fondé en 1978 par les frères Jeff et Steven McDonald, n’a jamais rien fait comme les autres. Notre article.

Redd Kross, Neurotica (Merge Records)


«A Bit of Previous»: Belle and Sebastian a toujours du chien

Désormais âgée d’un quart de siècle, la petite troupe de Glasgow amenée par le boy-scout Stuart Murdoch n’a pas renoncé à ses illusions d’éternelle jeunesse. Même conjugué au passé, le galvanisant Young and Stupid déballé d’entrée prouve, au moins musicalement, que rien n’entamera leur enthousiasme claironnant, malgré les «os qui grincent» et la relative indifférence dont ils font l’objet. Certes, autour d’eux toujours s’agite un fan-club dévot, qu’ils ont embarqué il y a trois étés dans une croisière-concert en Méditerranée (comme Frank Michael mais pour romantiques entre deux âges, à peau rose, aimant l’alcool, le petit Jésus et les refrains nez au vent). Notre article.

Belle and Sebastian, A Bit of Previous (Matador/Beggars)


Scènes

Festival d’Avignon: «Flesh», chut des corps

Tiens, une découverte ! Enfin l’exposition dans le «in» d’une signature théâtrale dont le travail ne voyage pas à intervalle régulier sur diverses scènes subventionnées – Elise Vigier, Christophe Rauck, Anne Théron – ou dont l’invitation ne soit pas une redite d’une édition antérieure du Festival d’Avignon. La compagnie belge Still Life n’a jamais été programmée en France hormis pour un sujet à vif en 2015, et on peut espérer que les quatre courtes pièces – comme on dit court métrage – qui sont montrées jusqu’au 25 juillet donneront envie à des programmateurs de s’y intéresser. Notre article.

Flesh de Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola jusqu’au 25 juillet à Avignon, le 13 et 14 février au Festival de Liège et du 18 au 22 avril au théâtre Les Tanneurs, à Bruxelles.


Festival d’Avignon: Jan Martens, défaut d’anticipation

La cour d’honneur du palais des Papes est réputée pour être un monstre dévorant ses enfants. Lieu de sanctification comme de désintégration des metteurs en scène et chorégraphes depuis 1947, elle effraie souvent les deux élus qui, chaque édition du festival, sont choisis pour y présenter leur création devant une marée humaine de professionnels internationaux et d’intransigeants gardiens du temple. Alors est-ce ici une façon pour Jan Martens, ce jeune chorégraphe flamand qui a cette année décroché le pompon après Kirill Serrebrennikov, d’adresser un gros doigt d’honneur ? Plutôt une caresse sur la joue des conventions… Notre article.

FUTUR PROCHE jusqu’au 24 juillet au Festival d’Avignon, en avril au théâtre de la Ville à Paris.


Livres

Polar: un taulard englué dans la poisse

On avait adoré son premier roman, les Aigles endormis (Série Noire, Gallimard), publié en 2020. Un roman noir passionnant et haletant sur la trajectoire criminelle d’un homme ordinaire qui va se retrouver happé par les réseaux mafieux albanais. Une description incroyable, une condamnation implacable de l’Albanie d’Enver Hoxha et de celle qui a suivi quand malfrats et tueurs ont voulu remplir les vides laissés par la chute du communisme. Notre article.

Peter Punk au pays des merveilles, Danü Danquigny, Série Noire (Gallimard), 288pp, 19 euros (13,99 euros en format kindle)


«Hana» d’Alena Mornštajnová, le passé recomposé

En illustration, un beignet rose bonbon recouvert de sucre craquant et dégoulinant de chocolat… En titre, un prénom qui se prononce en un souffle, délicat : Hana. La couverture du livre de la Tchèque Alena Mornštajnová invite à mordre à pleines dents dans un roman onctueux et réconfortant. Tromperie ! Le gâteau en question : c’est le point de départ du drame, objet du mal qui, en ce jour d’hiver 1954, «avait fait irruption dans notre maison», prêt «à tendre vers nous ses doigts avides, étrangler tout espoir et semer la mort». Il transmet le typhus aux parents et frères et sœurs de l’héroïne Mira – ironie caractéristique de Mornštajnová, Mira est la seule à survivre car elle est privée de dessert. A 9 ans, «elle n’a plus personne pour l’aimer». Notre article.

Alena Mornštajnová, Hana, traduit du tchèque par Benoît Meunier. Les Editions bleu et jaune. 344pp., 23 € (ebook: 14,99€).


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