Le milieu cinématographique n’a pas encore posé ses bagages au festival de Cannes que la manifestation commence. Ce lundi 13 mai, plus d’une centaine d’hommes et de femmes travaillant dans le cinéma sont venus se poster boulevard Raspail à Paris, au pied du Centre national du cinéma (CNC), pour demander le retrait de Dominique Boutonnat, son président accusé d’agression sexuelle sur son filleul – il comparaîtra le 14 juin. Ils ont répondu à l’appel de Judith Godrèche, des membres de collectifs et associations du milieu du cinéma, acteurs et actrices, producteurs et productrices, techniciens et techniciennes, émis le week-end précédent.
Enquête Libé
La centaine de manifestants a brandi d’une main des unes du numéro de Libération de vendredi, titré «Dominique Boutonnat, l’homme qui embarrasse le cinéma français», et déployé une banderole appelant à «séparer l’homme du CNC». Judith Godrèche, en première ligne, explique : «A la veille de Cannes, alors que l’enquête de Libération vient d’être publiée, personne ne peut plus prétendre qu’il ne savait pas. Nous avons demandé des mesures, et pour l’instant celles mises en place ne suffisent pas.» Comme elle, Damien Bonnard, acteur des Misérables, film sacré prix du Jury de Cannes en 2019, considère que «quand on est accusé de ce genre de faits, il faut se retirer de son poste de directeur du CNC, même si c’est pour revenir plus tard… Sans empiéter sur la présomption d’innocence». D’autres acteurs et actrices bien connus ont rejoint le groupe de manifestants, à l’instar de Rebecca Zlotowski, Xavier Lacaille ou Virgil Vernier, auxquels se sont ajoutés quelques intellectuels, dont le sociologue Eric Fassin.
Rassemblement devant le CNC pour demander la suspension de Dominique Boutonnat. pic.twitter.com/9O8zwCltIB
— Lara Clerc (@lara_clerc) May 13, 2024
Après un peu plus d’une heure, une douzaine de manifestants, dont Judith Godrèche, Zita Hanrot ou encore des représentants syndicaux, sont entrés dans le bâtiment, invités par Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC. Ils en ressortent bredouilles, après avoir fait face à «un mur du silence inébranlable avec toute sorte de rhétorique bien construite», déplore Godrèche. «L’institution du CNC est prise en otage, a déploré Lahoucine Grimich, producteur et coprésident du collectif 50 /50, et nous invitons à présent les équipes à se positionner».
Entre deux pancartes «Clap de fin sur les agresseurs» et «On se lève et on se casse», les actrices Noée Abita et Luana Duchemin abondent. «Avec la sortie de l’article de Libération, c’était le moment parfait pour montrer de quel côté on se trouve», pose la première, avant que la seconde ne renchérisse : «On essaie enfin de faire société autour de la lutte contre les VSS [violences sexistes et sexuelles, ndlr] et les symboles sont importants. On ne peut plus faire comme si de rien n’était.»
A l’issue de sa discussion avec la direction du CNC, Judith Godrèche estime avoir «parlé, mais ne pas avoir été entendue». Alors qu’elle quitte le boulevard Raspail, certains manifestants présents la saluent, «on se voit à Cannes». La cinéaste de 52 ans y sera à partir de ce mardi 14 mai pour présenter son court métrage Moi aussi. «Maintenant qu’on s’est exprimé, la parole continue à vivre seule», considère-t-elle.
«Symbole de la contradiction insupportable»
Dans un communiqué transmis à Libération, les organisateurs de la manifestation insistaient : «Si Dominique Boutonnat bénéficie de la présomption d’innocence, il nous semble toutefois essentiel que notre principale institution donne l’exemple. […] Nous regrettons que l’incongruité de cette situation finisse par discréditer définitivement son action et les propositions qu’il s’apprête à faire».
Il faut dire que le symbole passe encore plus mal depuis la prise de parole de Judith Godrèche, lançant un nouvel élan de témoignages qui percute le milieu du cinéma français. Dans le sillage de ce #MeToo cinéma, de nombreux professionnels ont témoigné dans nos colonnes de la difficulté à travailler avec Dominique Boutonnat, qui initie et mène les différents chantiers sur les mesures à prendre afin de mieux encadrer la profession face aux agressions sexuelles et sexistes.
Son mandat a été renouvelé à l’été 2022, en dépit des accusations et des protestations. «Nous souhaitons que le CNC reste un lieu où la parole soit libre, soulignent encore les collectifs rassemblés lundi, et cesse d’être le symbole de la contradiction insupportable qui incarne trop souvent ce milieu, et la culture en général.»
Mise à jour à 13 h 30 avec les éléments de reportage.