«Ah bah lui au moins, il a pas demandé beaucoup de subventions !» murmure un couple âgé à la fin de cette première avignonnaise, sans qu’on sache vraiment s’il distribue là un bon ou un mauvais point. Ah bah ça, c’est sûr. Dans un jardin planté de quelques arbres, avec trois cartons, deux tables et un clavier, le metteur en scène Gwenaël Morin donne Quichotte en deux heures d’un spectacle fort étrange, où l’on éprouve un pur présent du récit, et qui résonne haut par la grâce paradoxale d’une émouvante fragilité.
De fait, l’ingénieux Don Quichotte de la Manche est le roman picaresque du quasi sur-place, qui voit un amoureux de littérature se décréter chevalier errant, se fabriquer une armure de peu et harnacher une vieille carne pour parcourir le monde en «défaiseur de torts et réparateur d’iniquités», en l’honneur d’une dame semi-inventée, la merveilleuse Dulcinée. Entre les fantasmes du héros et le réel – les géants et les moulins à vent – se gonfle un espace fascinant, celui du livre de Cervantès que Gwenaël Morin parvient à convertir en espace scénique selon un transfert d’une logique indiscutable : Quichotte est l’homme qui se nomme lui-même et se fabrique une vie avec rien ; le théâtre est l’art de nommer sur scène et de fabriquer un monde avec des bouts de ficelle.