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Danse

A Marseille, les films du chorégraphe Boris Charmatz fascinent

Sur un terril de la Ruhr, dans les bars de Dieppe… Depuis une trentaine d’années, les cinéastes César Vayssié et Aldo Lee filment le chorégraphe et ses danseurs. Une rétrospective leur est consacrée à Marseille.
«Une lente introduction», réalisé en 2007 par Boris Charmatz ; avec Aldo Lee à la caméra et au montage. (Boris Charmatz & Aldo Lee)
publié le 7 janvier 2024 à 21h22

Les titres des chorégraphies de Boris Charmatz ne sont jamais juste des titres. Ce sont parfois des onomatopées (Aatt enen tionon) parfois des didascalies (Danse engagée et travaillée par le pathos), parfois des énigmes de Cluedo ou des rêveries saugrenues à la Satie. Les danses, elles-mêmes, ne sont jamais tout à fait des spectacles. Ce sont des danses endormies (Somnole), des danses mentales, des danses aveugles ou des danses «gâchées dans l’herbe» (du nom du solo créé cette année avec la danseuse de l’Opéra de Paris Marion Barbeau). Sur cette base, vous ne verrez jamais de simples captations de spectacles servant uniquement à archiver l’œuvre de Boris Charmatz. Vous verrez de vrais films avec un vrai auteur derrière, lequel s’appelle généralement César Vayssié ou Aldo Lee, deux cinéastes fidèles au chorégraphe, aujourd’hui en majesté dans les espaces du Frac Sud.

Après l’exposition consacrée à l’artiste marcheur Hamish Fulton, avant celle dédiée à la thématique «art et sport», l’institution marseillaise présente une rétrospective en six films qui nous projette d’abord ici, sur le carrelage du café du commerce de Dieppe en 1999, où le jeune Boris Charmatz se scratche à répétition sous les yeux de la clientèle l’observant balancer son flegme ou son tonus aberrant par-dessus les tabourets de leur décor quotidien. C’est les Disparates, série de malicieuses saynètes filmées dans les piscines, port, bars, plages de la ville portuaire, par la grâce d’une caméra maniant astucieusement les ponts mobiles pour négocier ses travellings, jouant des faux raccords et des ellipses pour lier entre elles ces fantasques cartes postales, décalant surtout l’imaginaire des comédies musicales urbaines façon Chantons sous la pluie ou les Parapluies de Cherbourg en plaquant sur les images une bande-son pompière de péplum, «hollywoodieppe» (on doit ce joli néologisme à César Vayssié). Les trente ans de collaboration entre ce cinéaste et Boris Charmatz forment un large spectre, à l’extrémité duquel les Disparates s’affirme sans doute comme le film plus «écrit», avec équipe de tournage classique et montage sophistiqué.

A l’autre extrémité se trouve Visite non guidée, plan-séquence de plus d’une heure tourné au smartphone dans des espaces d’expo, malheureusement absent de cette rétrospective. Au milieu de la gamme, trône en majesté le sublime Levée : flirtant avec l’esthétique des films d’apocalypse, tourné dans la Ruhr sur le site minier de Halde Haniel – un immense terril en forme de spirale – le film montre les danseurs pris dans une tempête de déchets de charbon filmés depuis un hélicoptère. Celui-ci est visible au Frac, lieu d’art contemporain dont il faut saluer ici la démarche : rares sont les chorégraphes et cinéastes à avoir mené des collaborations d’une telle ampleur (ce fut le cas d’Anne Teresa de Keersmaeker avec Thierry de Mey, par exemple) mais rares sont aussi les espaces de diffusion pour ces films expérimentaux.

«Danses gâchées dans l’herbe», jusqu’au 24 mars au Frac Sud-Cité de l’art contemporain à Marseille (13). Renseignements fracsud.org