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Henri Weber, «de la révolte à la réforme»

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Henri Weber a traversé l’histoire de la gauche française, des barricades à la rue de Solférino. Un documentaire retrace son parcours, sans toutefois questionner l’évanouissement de ses idéaux révolutionnaires.
Après 1968, Henri Weber a peu à peu remisé ses idéaux révolutionnaires pour devenir un cadre important du Parti socialiste et un ardent défenseur de l’Europe. (Fabienne Servan Schreiber)
publié le 8 mai 2021 à 16h30

Si la vie de Henri Weber, décédé l’an dernier du Covid, pouvait tenir en quelques mots, le titre du portrait, que lui consacrent son épouse Fabienne Servan-Schreiber et le documentariste Patrick Rotman, a la concision de la formule bien troussée : Henri Weber, le rouge et la rose. Ou comment une ancienne figure révolutionnaire de mai 1968 deviendra à l’orée des années 80, l’une des têtes pensantes d’un PS en plein virage social-libéral, sous la houlette du jeune Laurent Fabius (alors fraîchement nommé Premier ministre de François Mitterrand) dont il sera un fidèle compagnon de route pendant plus de trente ans. Soit l’histoire d’une «génération passée de la révolte à la réforme».

Sa trajectoire semble faire corps avec celle de la gauche française des cinquante dernières années. Ou disons une certaine gauche, avec ses impatiences, ses éclats, son désarroi, ses renoncements. Passer ainsi de l’esprit de fronde libertaire de la jeunesse, aux heurts et désillusions des lendemains qui déchantent, «un rejet de la violence dont le prix sera une certaine forme de compromis», reconnaîtra-t-il volontiers. Il lui aura fallu abandonner un rêve inaccessible, «le meilleur des mondes», et tout le catéchisme révolutionnaire qui va avec, au profit d’un élan plus «réaliste» visant simplement «un monde meilleur». Une vie engagée où le bonheur privé aura sa part.

Conversion au réformisme

Mais comment s’est opérée cette conversion au réformisme ? Comment ce séduisant jeune homme à la fougue rimbaldienne, qui faisait le coup de poing contre les fachos d’Occident Place de la Sorbonne dès 1966, avec Alain Krivine et ses camarades de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire, et qui haranguait les étudiants de 68, juché sur la statue du Lion de Denfert-Rochereau, aux côtés de Dany Cohn-Bendit, comment l’un des cofondateurs de la LCR a-t-il peu à peu remisé ses idéaux révolutionnaires au début des années 80 pour rentrer dans le rang de la social-démocratie, devenir un cadre important du Parti socialiste et un ardent défenseur de l’Europe ? Le documentaire – qui étrangement consacre plus de temps à ce passé d’extrême gauche certes déterminant mais assez bref, qu’à son compagnonnage avec le PS qui, lui, dura une quarantaine d’années – n’y répond que partiellement, en laissant la seule parole au principal intéressé, sans contrechamp, ni contrepoint critique – c’est là sa faiblesse.

Weber, avec sa légendaire ironie, botte parfois en touche : parce que ces idéaux, «c’était de la connerie en barre». Il récuse ainsi l’idée d’une «trahison», faisant plutôt état d’une «crise de foi», convaincu qu’une «société complexe et démocratique ne se transforme pas par la violence». S’appuyant sur un chapelet de belles archives vivantes et des extraits de ses mémoires (Rebelle jeunesse, éd. Robert Laffont), le film – c’est son principal intérêt –, revient sur les premières années et la construction intellectuelle de ce jeune homme, né en 1944 dans le goulag de Leninabad (dans l’actuel Tadjikistan), où ses parents juifs polonais avaient été déportés par le régime stalinien. Puis l’enfance bellevilloise où, naturalisé français en 1959, il fréquente l’Hashomer Hatzaïr (scouts sionistes de gauche), et enfin l’engagement contre les guerres coloniales (l’Algérie, le Vietnam), qui cimentera son parcours de militant d’extrême gauche et d’intellectuel. «Agir en homme de pensée et penser en homme d’action» sera finalement la ligne dont il n’aura jamais dévié.

Henri Weber, le Rouge et la Rose (2021, 54 minutes), documentaire de Patrick Rotman et Fabienne Servan-Schreiber. Sur France 5, dimanche 9 mai à 22 h 30.