C’est l’histoire d’un homme, Antonio Fischetti, journaliste à Charlie Hebdo, qui aurait dû être dans les locaux du journal le jour de l’attentat le 7 janvier 2015, si sa tante ne lui avait pas sauvé la vie, en étant enterrée ce jour-là. L’histoire d’un homme qui n’est pas rescapé, mais qui ne se sent plus «ni vraiment vivant ni vraiment mort» et qui décide d’enquêter sur lui, à travers un journal intime filmique. C’est un rapport sur lui forcément égocentré, mais qui dévie. Et qui croyant parler de Charlie Hebdo tombe sur d’autres os, d’autres obsessions, d’autres histoires qui le constituent. C’est un film qui appartient à un genre souvent qualifié d’inclassable, bien que, de Joseph Morder à Alain Cavalier, en passant par Dziga Vertov, les cinéastes diaristes existent depuis presque aussi longtemps que le cinéma lui-même. Et c’est un film, produit par Philippe Bouychou et financé grâce à 920 donateurs du crowdfunding, étonnant (et agaçant) sur un homme qui pense que tout ce qu’il dit et fait mérite d’être filmé, et entasse dans sa cave une myriade de VHS qu’il exhume à l’occasion de ce retour sur lui.
En particulier, il filmait sa première psy, Elsa Cayat, assassinée le 7 janvier, dont on comprend qu’il l’a faite entrer à Charlie Hebdo. A travers les enregistrements, elle lui lègue une parole que le temps et la mémoire ne transforment pas, mais qui demeurent mystérieuse. Et dans une continuité, il filme celui qui lui a succédé, Yann Diener, avec lequel il noue une amitié thérapeutique. «Il faut lâcher du lest, décoller, je te trouve un peu encombré avec ces images.» C’est sans doute les passages avec Yann Diener, ce dernier ne se prend pas pour son psy – on ne saurait qualifier la nature de leurs relations –, qui offrent le plus d’espace à l’inattendu. En particulier, durant une brève scène, lorsque de manière impromptue, une phrase lancée par Diener semble ouvrir un gouffre et permettre au diariste journaliste complètement perdu de se voir sous une autre focale, réenvisager qui il est. C’est surprenant. Rencontre avec le cinéaste ce lundi 16 décembre à l’Espace Saint-Michel à Paris (à 20 heures), le cinéma étant d’ailleurs le seul où le film est diffusé.