Dans une Arena de la Défense pleine à craquer, la soirée de la Karmine Corp s’annonçait déjà comme un événement majeur pour l’e-sport français. L’affluence samedi 16 septembre dans la salle des Hauts-de-Seine, qui accueille d’habitude des grands matchs ou des concerts, a pulvérisé plusieurs records en termes de spectateurs pour un événement autour de la pratique sportive du jeu vidéo. Mais l’équipe de gamers, l’une des plus importantes de France, a surtout provoqué un séisme par une annonce : leur future installation à temps plein dans un stade, au même titre qu’un club de foot ou de rugby. Un changement majeur dans le paysage vidéoludique en France.
La Karmine Corp, moteur de l’e-sport français
Fondée en 2020 par Prime et Kameto, stars de Twitch et de YouTube, la Karmine Corp surfe sur la popularité de ses créateurs. Le premier s’est fait connaître pour ses streams, des vidéos en direct, sur League of Legends, jeu en arène à cinq contre cinq dans lequel il faut détruire la base de l’équipe adverse. L’objectif de la «KC» et de ses cinq joueurs originels : s’imposer comme les leaders français sur ce jeu extrêmement populaire. La mission peut sembler accomplie à en croire les résultats de l’équipe. La Karmine a été sacrée plusieurs fois en France et en Europe.
Allez, on vous remet le reveal de la scène juste pour le plaisir… 💎 #KCX3 pic.twitter.com/WTLKXE1pZg
— Karmine Corp (@KarmineCorp) September 18, 2023
La «KCorp» s’est aussi exportée sur Valorant, jeu de tir à la première personne, Super Smash Bros, où il faut éjecter son adversaire d’une arène, Rocket League, hybride entre le football et le sport auto, le jeu de course Trackmania, et le stratégique Teamfight Tactics. Sur Valorant, la Karmine a même fondé une équipe féminine en février 2023, une première dans le pays. Trois ans après sa création, la Karmine Corp compte désormais une vingtaine de joueurs, Français pour la plupart, sans compter les coachs qui encadrent les équipes. Elle a aussi ses ultras, qui constituent dans les tribunes «le blue wall», «le mur bleu» de supporters aux couleurs de l’équipe.
Forte de ce palmarès, la «KC» a réussi un tour de force samedi : remplir la salle de l’Arena de la Défense. Les 28 000 personnes rassemblées ont constitué un record mondial pour un match d’e-sport féminin, un record mondial pour un match de Rocket League et de Valorant, ainsi qu’un record européen pour un match de League of Legends.
Un futur stade en Essonne
L’équipe a profité de la soirée déjà exceptionnelle pour faire une annonce inédite. La Karmine Corp a signé un bail de «plusieurs années» pour prendre ses quartiers aux «Arènes de l’Agora» à Evry-Courcouronnes (Essonne), à l’horizon 2024. La «KC» va devenir le premier club e-sport européen à intégrer une salle en tant que club résident, de la même façon que le PSG avec le Parc des Princes ou de l’OM avec le Vélodrome.
Le lieu, situé à une trentaine de kilomètres au sud de Paris, peut accueillir jusqu’à 3 000 personnes. Il devrait proposer jusqu’à 25 événements par an avec la «Kcorp», selon Arthur Perticoz, le directeur général de l’équipe. «Ce que l’on veut maintenant, c’est passer à la vitesse supérieure, être dans un modèle proche du sport traditionnel», a-t-il détaillé.
A l’annonce de cette installation, s’ajoute celle de la création d’abonnements et d’une billetterie comme dans les clubs sportifs traditionnels. De quoi générer des recettes et offrir un lieu de ferveur aux «ultras» de l’e-sport.
L’e-sport en pleine expansion
La première compétition officielle d’e-sport créée dans l’Hexagone a été la Ligue Française de League of Legends (LFL), en 2019. Elle compte aujourd’hui dix équipes françaises. Une partie de celles-ci s’affronte aussi sur d’autres jeux. Au niveau européen, des formations tricolores existent aussi, mais souvent composées de joueurs étrangers.
En France, pour les autres équipes populaires, ce sont la plupart du temps les vidéastes et influenceurs qui se sont emparés du phénomène. Le streamer Zerator a par exemple fait l’acquisition d’une équipe sur le jeu Valorant. Plus récemment, ce sont les vidéastes stars Squeezie, Gotaga et Brawks qui ont fait de même.
L’an dernier, 10,8 millions d’internautes de 15 ans et plus se sont intéressés à l’e-sport, selon une étude réalisée par Mediametrie pour l’association France Esports. Un chiffre en hausse de 1,4 million de personnes par rapport à 2021.
Des obstacles économiques et politiques
Pour autant, le nouveau projet de la Karmine Corp fait figure d’exception dans un environnement au modèle économique fragile. Le directeur général de la «KC», Arthur Perticoz, regrette notamment la TVA à 20 % appliquée à la billetterie des shows e-sport, contre 5,5 % pour les événements sportifs et culturels. «Une baisse de la TVA changerait tout, ce serait l’assurance de pouvoir faire des événements rentables. Ensuite, ça nous permettrait d’avoir un impact significatif sur le prix des billets parce qu’on a un public jeune. C’est un soutien dont on a besoin si on veut grandir, pas que pour nous mais pour l’industrie au global.»
Analyse
En janvier dernier, le gouvernement a lancé sa nouvelle stratégie visant à faire de la France le «leader européen de l’e-sport à l’horizon 2025», avec notamment la volonté de «mieux structurer l’écosystème» de ce secteur. Ce qui n’a pas empêché Emmanuel Macron d’accuser les émeutiers ayant participé aux destructions en juin après la mort de Nahel de «vivre dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués».