Par nature, le jeu de gestion fascine par sa manière de se tenir au point d’intersection de deux logiques et plaisirs presque contradictoires. Il est d’abord l’incarnation d’un jeu raisonnable et raisonné, puisqu’il s’agit d’y amasser des ressources, de cadencer des lignes de production, d’assurer des flux de personnes et de marchandises et de jouir du spectacle d’une mécanique de précision finement réglée. Récompensant l’efficience, l’optimisation, ne s’envisageant qu’au travers des logiques d’accumulation, d’expansion (économique, militaire et culturelle), il est le jeu capitaliste par excellence. Mais le résumer uniquement à cela, ce serait omettre sa dimension expressive : choisir une culture à incarner, c’est rêver de l’hybrider, de la teindre à sa manière, et la nourrir d’une conception politique et sociale. Défendre une vision du monde, un idéal. C’est la fibre plus sensible du jeu de gestion, son appréciation presque poétique.
Frostpunk titille incroyablement ces deux désirs-là en renversant le paradigme posé par le père fondateur du genre, Civilization. Depuis le début des années 90, ce jeu totem propose d’incarner l’humanité depuis les débuts fragiles de la sédentarisation jusqu’à la conquête spatiale. Enfant des Trente Glorieuses, son socle est le culte du progrès ininterrompu, de la technologie au service de demain. Frostpunk, lui, transpose ce modèle à l’ère de la fin de