Une formule de huit mots martelée pendant une heure trente par Microsoft et, à la fin, l’impression d’avoir assisté à un changement de paradigme pour le jeu vidéo, quelque chose de comparable à ce que Spotify et Netflix ont pu produire dans les champs de la musique et du cinéma. «Play it day one with Xbox Game Pass» (disponible dès sa sortie sur le Game Pass). Gigantesque espace publicitaire à la gloire de l’industrie du jeu vidéo, l’E3 est l’endroit de tous les coups de bluffs technologiques, des débauches de pixels, des bandes annonces trop belles pour être vraies. Un salon destiné à ferrer les joueurs à coup d’exclusivités réelles ou temporaires, à les fédérer autour d’une marque et un fabricant de console. Un espace hyper concurrentiel où l’enjeu était de «gagner» l’E3 au dépend de ses concurrents, où le lancement d’une console pouvait se faire ou se défaire – ainsi la Xbox One de Microsoft, éreintée en 2013.
Et l’on doit avouer qu’on n’attendait pas grand-chose de cette édition numérique du salon, une nouvelle fois snobée par Sony (le géant japonais organisant son propre événement) : quelques nouveautés, des mises à jour, des précisions de dates de sortie – le ballet habituel. Sur le fond (les jeux), la conférence de Microsoft n’avait rien de surprenante : des armes à feu dans tous les sens, des voitures plus réalistes que votre Clio, quelques propositions «décalées», du classique pour les Américains. Mais l’omniprésence de ce carton Game Pass a coupé la chique à tout le monde parce qu’il renverse la table.
Pénurie de composants
Lancé il y a trois ans, ce service sur abonnement donne accès à un large catalogue de jeux, fond agrémenté chaque semaine de nouveautés, la plupart du temps indépendantes. En alignant quasiment toutes ses superproductions à venir sur sa plateforme, Microsoft change les règles du jeu : il ne s’agit plus de pousser à l’acte d’achat d’une machine à 500 euros ou même d’une création vendue 80 euros, mais de susciter des abonnements au prix opportunément calé sur ceux de Netflix ou Spotify. Pourquoi d’ailleurs s’embêter à présenter les nouvelles consoles, en pleine pénurie de composants informatiques, la demande excède l’offre… Lorsque Microsoft incruste à l’écran plus de cinquante fois le nom de son service durant sa conférence, il le rend incontournable, il nous dit que toutes ses nouveautés y seront, aidé en cela par les créations issues du rachat l’an dernier de l’éditeur Bethesda pour 7,5 milliards de dollars.
Il ne s’agit plus seulement de séduire avec un projet mais à travers une profusion de propositions et de disponibilités – déjà accessible sur consoles et PC, le Game Pass se déclinera bientôt sur téléphone en streaming. Ce que Microsoft pousse, c’est tout à la fois l’accès à un catalogue (comme les grandes plateformes) et l’entrée dans un écosystème (comme l’environnement Apple). Quelque part, il s’agit ni plus ni moins que la traduction à très grande échelle de la logique du game as a service, au travers de laquelle toute une frange de l’industrie (Fortnite, Fifa, les créations Ubisoft...) ne se contentent plus de vendre une expérience (une histoire, un gameplay) mais une habitude, un temps de jeu infini régulièrement ravivé par des contenus saisonniers. Dimanche soir, on n’aurait pas été surpris d’entendre Phil Spencer, le patron de la division Xbox, reprendre les mots du boss de Netflix, Reed Hasting : «Nous sommes en concurrence avec le sommeil.»