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Libération
Géopolitique des pixels

«Reverse Front» : Hongkong horripilé par le jeu vidéo taïwanais où il faut renverser le régime chinois

Le création de développeurs taïwanais invite à s’allier au Tibet, à la Mongolie ou encore aux Ouïghours pour écraser le Parti communiste et la Chine.
Le jeu vidéo taïwanais «Reverse Front» a été interdit par le gouvernement chinois. (ReversedFront)
publié le 17 juin 2025 à 5h30

«Ce jeu est une œuvre non fictionnelle. Toute ressemblance avec des politiques ou des groupes ethniques réels de la RPC [république populaire de Chine, ndlr] est intentionnelle.» Sur leur site internet, les créateurs du jeu vidéo taïwanais Reverse Front, sorti le 24 janvier 2024, annoncent la couleur, avec un humour caustique. A l’appui de cet avertissement, une carte qui réinvente les frontières de l’Asie de l’Est. La Chine est éclatée en une multitude d’Etats et de peuples, dont le Tibet, la Mongolie, la Manchourie et les Ouïghours.

Dans ce jeu de stratégie, il convient de nouer des alliances entre des divers protagonistes qui nourrissent des griefs contre Pékin, parfois vieux de plusieurs décennies, pour écraser cette «puissance coloniale qui fait preuve d’une cruauté sans précédent», assène un texte sur le site internet de Reverse Front. «Les communistes ont régressé vers une gouvernance autoritaire, imprudente et incompétente», est-il aussi écrit.

Plus d’un an après sa sortie, ce programme belliqueux et très politique a provoqué la colère des autorités de Hongkong, région administrative de la Chine sur laquelle Pékin resserre de plus en plus son étau autoritaire. Le jeu y était disponible sur l’App store – à la différence de la Chine continentale, qui filtre minutieusement son contenu. En revanche, il n’était pas téléchargeable via Google Play store car la plateforme est inaccessible dans tout le pays.

Mais dans un communiqué paru le 10 juin, le Département de la sécurité nationale de Hongkong a accusé le jeu de «prôner la révolution armée» et mis en garde les joueurs : le télécharger devient une infraction grave. Le 15 juin, les développeurs de Reverse Front ont annoncé que celui-ci est désormais inaccessible dans la région de Hongkong.

«Une gouvernance autoritaire»

Si le jeu dérange, c’est que ses orientations sont éminemment politiques, à l’heure où la Chine multiplie les pressions militaires sur Taïwan, sur qui elle a toujours revendiqué la souveraineté. Depuis la guerre civile chinoise (1945-1949), Pékin considère l’île comme une province séparatiste à réintégrer, refusant de reconnaître son indépendance, jusqu’à menacer de l’envahir dans un futur proche.

Reverse Front renverse le rapport de force actuel, en imaginant des alliances avec la Mongolie – qui a échappé à l’emprise chinoise au XXe siècle mais cible d’une intense entreprise de sinisation –, le Tibet annexé en 1950 et depuis sous le joug de Pékin ou encore les Ouïghours, qui occupaient auparavant le Turkestan oriental, territoire aussi passé sous domination chinoise la même année. Depuis, ce peuple vivant dans le Xinjiang est victime d’un nettoyage ethnique perpétré par les autorités.

Hausse des téléchargements

Reste que les créateurs du jeu – un groupe de développeurs anonymes du nom d’ESC Taïwan – se sont réjouis dans une publication, le 11 juin, sur leur page Facebook d’une hausse des téléchargements à la suite des menaces des autorités. Dans une nouvelle illustration de l’effet Streisand – plus on censure, plus on attire l’attention sur le phénomène –, de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux conseillent par exemple des VPN (outils qui cryptent les données de l’utilisateur pour masquer son identité en ligne) pour contourner l’interdiction hongkongaise.

Encore accessible en France via l’App store, le jeu a été déréférencé sur Google Play, ainsi que le soulignaient les développeurs le 6 juin, disant être la cible de signalements pour propagation de «discours de haine». En revanche, il pourrait bientôt rejoindre Steam, plateforme mondiale de jeu sur PC. L’entreprise mère de la plateforme, Valve, assure être en train de le tester.