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Libération
Jeu vidéo

«Slay the Princess», cabale dans les bois

Ce jeu d’horreur, basé sur une narration à choix multiples brillamment écrite, génère chez le joueur doute et angoisse.
Extraits du jeu vidéo «Slay the Princess». (Black Tabby Games/Black Tabby Games)
publié le 12 novembre 2023 à 13h03

Violent, cruel et traumatique, Slay the Princess est de la même souche que les contes pour enfants avant la camisole chimique Disney. Toute petite chose qui fait circuler ses joueurs le long de tableaux dessinés, le jeu s’ouvre sur une ritournelle twin-peaksienne, aiguë et lancinante, et une forêt noire dont les lignes ondulent légèrement comme sur de vieux cellulos. La voix d’un narrateur brise le silence : «Vous êtes sur un chemin dans les bois. Au bout de ce chemin se trouve une cabane. Et dans le sous-sol de cette cabane se trouve une princesse. Vous êtes ici pour la tuer. Si vous ne le faites pas, ce sera la fin du monde.» En un souffle tout est formulé ou presque : le cadre restreint (bois-cabane-cave), la mission, et le doute. Pourquoi se rendre coupable d’un acte d’une pareille cruauté ? Qui est-elle et qu’a-t-elle donc fait pour mériter la mort ? Et qu’est-ce que c’est que cette histoire de fin du monde ?

A l’injonction de ce narrateur omniscient, on oppose des réponses dans une liste étonnamment touffue – géniale alchimie dans l’écriture de ces répliques, qui anticipe ce que le joueur souhaite dire et donc retrouver, mais parvient aussi à lui proposer des choses auxquelles il n’aurait pas pensé et souhaite soudain dire. Des réponses toujours doublées. Parce qu’à chacune de ces lignes se trouve attachée une voix intérieure. Celle du héros, celle du trompé, de l’énamouré, du paranoïaque… Comme si notre personnage – hors champ – n’était plus qu’une psyché fracturée, miroir de la multitude de chemins qui s’ouvrent au joueur et mènent à cette malédiction finale : «Tout devient noir, et vous mourez.» Avant qu’on revienne dans cette forêt du déjà-vu. Slay the Princess s’écrit comme un livre dont vous êtes le héros, sauf que le héros a des voix dans la tête, et qu’il se trouve piégé dans une boucle toujours un peu plus déréglée, à l’image de ces effets de parallaxe qui installent un mouvement dans une image fixe en décalant la vitesse de défilement du premier plan et de l’arrière-plan. Délicieusement macabre, l’ésotérique Slay the Princess créé par le couple Tony Howard-Arias et Abby Howard offre un nouveau témoignage de l’âge d’or que traverse le jeu d’horreur indépendant.

Slay the Princess de Black Tabby Games, sur PC et Mac.