«Vos sociétés facilitent et tirent profit de la vente de jeux mettant en scène viol, inceste et abus sexuels sur mineurs.» C’est en ces termes que le Collectif Shout, une association australienne engagée contre l’exploitation sexuelle en ligne, a interpellé dans une lettre ouverte le 11 juillet plusieurs entreprises de paiement dont Visa, PayPal Mastercard, en affichant leurs liens avec deux plateformes de jeux vidéo en ligne, Steam et Itch.io.
Le premier est le leader mondial du jeu sur PC, l’autre s’est forgé une réputation dans la production indépendante. Ils ont en commun une quantité faramineuse de productions au sein de leur ludothèque – pas moins de 30 000 pour Steam – dont une grande partie est payante. Au milieu de ce catalogue figurent également des contenus érotiques et sexuels, au cœur des questions soulevées par Shout.
Des «jeux violents et contraires à l’éthique»
Etant des hébergeurs, et non des éditeurs, ni Stream ni Itch.io n’appliquent aucune politique de modération, refusant d’endosser une responsabilité éditoriale sur les contenus publiés. C’est ainsi qu’un jeu qui simulait des viols et des pratiques incestueuses, No Mercy, s’est retrouvé sur Steam en avril dernier. Shoutout avait alors lancé une pétition, obtenant finalement le retrait du jeu par la plateforme dans plusieurs pays.
Après quoi, l’association australienne «a mené des recherches approfondies», qui ont abouti au recensement de centaines de contenus similaires sur ces plateformes, mettant en scène des «abus sexuels sur des femmes et des enfants». Faute de réponse de la part de Steam et Itch.io suite à leur première mobilisation, elles ont choisi d’interpeller les entreprises de paiement qui permettent l’achat de ces jeux Visa, MasterCard, PayPal…). Si Visa et Mastercard sont restées silencieuses, PayPal a déclaré auprès du Guardian «appliquer une politique de tolérance zéro envers toute activité illégale».
Des jeux retirés des plateformes
Peu après la publication de la lettre ouverte, les deux sites de jeux en ligne ont pris des mesures, citant explicitement l’implication des entreprises de paiement. Ainsi, le 16 juillet, le compte SteamDB qui suit de près les actualités de la plateforme, fait remarquer sur sur X une évolution récente dans son règlement. L’interdiction «des jeux qui enfreignent les règles établies par les processeurs de paiement et les réseaux de cartes, ou les fournisseurs de réseaux Internet». Le leader du jeu en ligne ne précise toutefois pas la nature de ces nouveaux critères. Sur les réseaux sociaux, plusieurs utilisateurs relèvent également que de nombreux jeux sur le thème de l’inceste ont été supprimés de la plateforme, captures d’écran à l’appui.
Récit
Le 24 juillet, c’est au tour d’Itch.io de publier un communiqué dans lequel il annonce avoir désindexé tout son contenu NSFW («not safe for work» : explicite, à caractère sexuel). «Pour garantir la pérennité de nos activités […], nous devons prioriser nos relations avec nos partenaires de paiement», concède la plateforme. Un tel nettoyage dans les catalogues demeure rarissime. Ces dernières années, Steam avait déjà retiré certains jeux, suite à des polémiques ayant pris de l’ampleur – tel que No Mercy, ou encore une simulation reconstituant les attaques du 7 Octobre perpétrées par le Hamas contre des civils et des militaires israéliens ou un jeu mettant en scène les protestations survenues à Hongkong en 2019.
Cette fois, la pression des sociétés de paiement aura été redoutablement efficace. Et ce n’est pas la première fois que cela se produit. En 2020, les mastodontes du paiement en ligne, inquiet des risques qu’ils faisaient courir à leur réputation en étant associé à certains contenus, avaient déjà menacé Pornhub de suspendre leurs services sur sa plateforme s’il ne retirait pas ses contenus illégaux, et le géant du porno s’était exécuté.
Colère des utilisateurs
Une ligne dont la radicalité préoccupe certains utilisateurs, dont certains craignent qu’elle aille au-delà des contenus criminels. Un utilisateur anonyme a ainsi lancé une pétition il y a deux semaines pour protester contre «MasterCard et Visa» qui «interfèrent avec le divertissement légal et exiger le droit de choisir les récits qui nous plaisent sans aucun contrôle moral». La pétition, qui défend la production de contenu pour adulte «légal» et appelle à «une véritable transparence des réglementations», totalise désormais plus de 180 000 signatures. Plusieurs utilisateurs déplorent la situation en commentaire, s’inquiètent d’une forme de «censure» et revendiquent le droit de consommer du contenu pornographique ne représentant rien d’illégal.
Les nouveaux critères énoncés par les plateformes demeurent très opaques. Itch.io évoque par exemple l’interdiction nouvelle de commercialiser des productions mettant en scène «viol, inceste, trafic sexuel». Dans ce cas, «un jeu vidéo abordant le sujet du trafic sexuel dans le but de sensibiliser le public à ce problème serait retiré du magasin» souligne le site spécialisé Game Industry, car ces «nouvelles règles ne semblent pas tenir compte de l’intention d’un jeu ni de la manière dont il traite un thème».
Menaces de toutes parts
De son côté, Collectif Shout a déploré une vague d’attaque de la part d’utilisateurs très contrariés par ces nouvelles politiques. «Sur de multiples plateformes en ligne et par courrier électronique adressé à des membres du personnel, des hommes ont menacé de nous violer et de nous tuer, nous ont envoyé des vidéos pornographiques» énumère un communiqué du 22 juillet, captures d’écran à l’appui. Mais l’organisation se félicite tout de même des conséquences de sa mobilisation.
Alors que la polémique bat son plein, l’Association des éditeurs de logiciels de divertissement et de loisirs implantée au Royaume-Uni a suggéré une potentielle solution, la mise en place du PEGI - indicateur européen pour les jeux vidéos qui permet d’indiquer l’âge minimum conseillé pour accéder et les contenus potentiellement sensibles qu’il contient. Pour l’heure, les hébergeurs de jeux en ligne n’y ont pas recours.