On déambule dans The Making of Karateka, documentaire qui se pratique manette en main, comme on le ferait dans un musée entièrement dédié à ce classique du jeu vidéo. Documents de production, interviews ou même atelier interactif détaillant le processus de rotoscopie employé pour créer les stupéfiantes animations du jeu de 1984 (avec films Super-8 et calques explicatifs à la clé) racontent les coulisses du titre qui révéla Jordan Mechner, futur créateur de Prince of Persia. La visite virtuelle se structure autour de frises chronologiques et thématiques prodiguant un liant bienvenu au sein de ce foisonnement de contenus. Pédagogique et passionnant, The Making of Karateka resitue intelligemment les sources d’inspiration, les techniques d’époque ainsi que la postérité d’un titre qui a profondément marqué l’histoire du jeu vidéo.
Si elle a le sérieux scientifique d’une exposition, cette visite virtuelle n’a en revanche rien de la gravité muséale : on piaffe en se frottant à l’exigeant Karateka dans sa version originale pour Apple II, ainsi que dans ses différents portages et version restaurée. En invitant à jouer à des prototypes inédits (Asteroid Blaster, Death Bounce) et à pratiquer les itérations successives de Karateka, on assiste aux étapes menant à l’affirmation de la patte si singulière de Jordan Mechner.
Codeur féru de cinéma, l’Américain se fait défricheur à l’époque d’une approche novatrice de la mise en scène du jeu d’action, nourrie de plans de coupe, de travellings et intégrant une gestuelle réaliste des personnages grâce au décalque d’authentiques mouvements filmés. L’humain, voilà ce qui se démarque ici, en particulier lors des touchants échanges entre l’auteur et son père Francis Mechner, éminent psychologue qui signe la partition du jeu. Avec ce premier volet d’une «Gold Master Series» visant à décortiquer la fabrique d’un jeu ou série, le développeur Digital Eclipse propose un format de «documentaire interactif» d’autant plus réussi qu’il illustre les vertus d’une contextualisation instruite mais toujours ludique pour accompagner un accès renseigné aux pointures de l’histoire du jeu vidéo. A l’instar d’une Criterion Collection prônant une vision éclairée de classiques du septième art sur support domestique, le jeu vidéo tient probablement ici l’une des plus brillantes initiatives à date de patrimonialisation de ses incontournables.