Menu
Libération
Exposition

Jonathan Binet à la galerie Balice Hertling, avec les moyens des bords

A Paris, le peintre expose ses toiles abstraites rabotées à la meuleuse, maltraitant avec régal ses projets.
Né en 1984, Binet a été formé aux Beaux-Arts de Paris. (Jonathan Binet/Galerie Balice Hertling)
publié le 12 février 2024 à 1h11

Pour abstraits qu’ils soient, les tableaux de Jonathan Binet, exposés à la galerie Balice Hertling, n’en racontent pas moins une histoire palpitante, pleine de péripéties et de rebondissements, dont l’héroïne, la peinture, en voit de toutes les couleurs et ce avant même d’avoir pu se poser sur la toile. Binet en effet lui prépare d’abord un cadre. Qu’il a, dès ses premières années d’études aux Beaux-Arts de Paris (il est né en 1984), distordu de manière à lui prêter des formes biscornues. Si bien que l’œuvre résidait là, sur les bords, plutôt qu’au centre. Moins dans le peu de chose peint que sur le pourtour.

Giclées de peinture en partage

L’artiste a fini par en être frustré. Il voulait peindre. Dès lors, abrégeant les préliminaires, il a acheté, pour passer plus vite aux choses sérieuses, des toiles de format standard et apprêtées, c’est-à-dire, enduites d’une couche de blanc. Ça ne s’est pas passé comme ça. Il a pris le parti d’enlever l’apprêt. Ce qui revient à commencer à peindre en ôtant la matière au moyen d’une meuleuse, quitte à érafler la toile. Le geste était certes fidèle à sa manière coutumière de prendre les toiles à rebrousse-poil, mais ne comblait pas sa frustration. Il s’est alors mis à déverser la peinture sur les toiles de lin et à l’étaler autant qu’à la raboter, avec la meuleuse, devenue un pinceau, qui tartine sans se priver d’éclabousser les alentours. Où sont disposées d’autres toiles qui reçoivent des giclées de peinture en partage.

Si certains tableaux sont troués de deux ronds parfaits, c’est que l’artiste a laissé la meuleuse ronger son frein sur place, sans plus la manipuler. Ailleurs, si des pans du châssis sont arrachés, c’est que, dans l’atelier, à cet endroit-là, une autre toile venait masquer ce coin-là. L’œuvre n’existe donc jamais seule et intègre jusque dans son cadre celles qui s’inscrivent dans le même espace de production. Binet ne laisse donc guère en paix la peinture. Il y a toujours un élément (l’outil, le support, le cadre) qui retarde son accomplissement, contrarie sa routine, malmène son intégrité en rentrant impunément dans le champ. Et toutes ces tribulations, loin d’épuiser les toiles, leur prêtent, comme dans l’expo, une présence altière d’aventurières revenant de loin et prêtes à y retourner.

«Jonathan Binet. Une rose est une rose est une rose» à la galerie Balice Hertling, à Paris (75003), jusqu’au 9 mars. Rens. balicehertling.com