La place de la Bastille devant l’Opéra de Paris est en effervescence. La mobilisation est haute en couleurs, banderoles éclatantes et affiches bardées de lettres fluo agrémentent le rassemblement. Ce jeudi 20 mars, à l’appel de la CGT spectacle et du Syndicat national des artistes-plasticiens (Snap), les acteurs du secteur de la culture se sont unis pour protester contre les coupes budgétaires annoncées par Rachida Dati. C’était aussi une journée de grève, afin de montrer «ce que serait un monde sans la culture», comme on peut le lire sur une pancarte en lettres écarlates.
«Je me prépare à peut-être licencier trois personnes, et je ne suis pas la seule», assène Margot Quénéhervé, directrice de production et déléguée régionale Ile-de-France pour le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles. «On constate des diminutions des subventions de fonctionnement pour les théâtres et les compagnies, détaille-t-elle. Mais aussi des baisses de salaire, des réductions du nombre de collaborateurs. On va par exemple retirer d’une équipe un régisseur, une costumière… On bricole plus, dans de mauvaises conditions.» Même son de cloche du côté du Synavi (Syndicat national des arts vivants). «Certaines compagnies ont complètement mis en suspend leurs interventions», constate Loredana Ronca, déléguée syndicale.
«Les coupes budgétaires nuisent directement à notre secteur», déplore Yohan, 25 ans, qui travaille depuis peu dans le cinéma d’animation. Lui et ses amis sortent tout juste d’école et remarquent qu’«il y a de moins en moins de travail», ce qui les inquiète beaucoup. A quelques pas de là, un couple qui exerce dans le même secteur surenchérit. «Avec le désengagement de l’Etat dans le secteur culturel, beaucoup de studios d’animation ont mis la clé sous la porte.»
«Nos actions ont une fonction d’intérêt général»
Côté spectacle vivant, le constat n’est pas plus réjouissant, conséquence directe des réductions budgétaires dans les collectivités territoriales. «Nous avons de moins en moins de dates, on nous répond sans cesse que les budgets sont trop serrés pour nous accueillir», souligne Lou, membre de la compagnie de cirque Hors surface. «Dans notre troupe, certains s’inquiètent de ne pas obtenir leur statut d’intermittent» avec la réduction des représentations prévues ajoute-t-elle.
Myrtille et Jeanne tiennent toutes deux un drap blancs, maculé de tâches rouges, et où est inscrit : «La culture saigne !» Costumières au Théâtre national de l’Opéra-Comique, elles ont récupéré le tissu taché dans les malles d’accessoire utilisés pour les représentations. Avec les coupes budgétaires, «les décors et les costumes sont ce qui passe à la trappe en premier», remarque l’une d’elles.
Reportage
Plusieurs membres de la Maison des écrivains et de la littérature sont également venus protester, et pour cause, leurs subventions ont drastiquement baissé. Celles-ci étaient initialement de 700 000 euros il y a une dizaine d’années. Elles n’ont cessé de s’amoindrir, jusqu’à descendre cette année à 200 000 euros. «Nous risquons de fermer», soupire Sylvie Gouttebaron, directrice de la structure qui existe depuis près de quatre décennies. «Nos actions ont une fonction d’intérêt général, en transmettant ce goût de la réflexion et de la lecture», ajoute-t-elle. Le lieu permet en effet de «dire aux jeunes que tout le monde peut écrire, pas seulement une élite, et c’est extrêmement important», martèle Emma Marsantes, poétesse, également membre de la direction de la structure.
Outre les coupes budgétaires drastiques prévues dans les collectivités, la suspension de la part collective du Pass culture, qui permet de financer des ateliers et sorties au sein des écoles et les lycées en inquiètent plus d’un. «Certains comptent beaucoup sur des interventions en milieu scolaire ou dans les bibliothèques, explique Natacha Ratto, autrice de bande dessinée. J’étais en pourparlers avec un établissement scolaire pour une animation, puis il y a eu l’annonce de la suspension du Pass culture, et je n’ai plus jamais eu de leurs nouvelles.»
Louise, directrice de production n’est pas allée travailler cet après-midi. Idem pour William et Léon, employés du Palais de Tokyo en CDDU (contrat à durée déterminée d’usage), venus avec plusieurs de leurs collègues. Pour eux qui sont salariés, le droit de grève est institué, protégé. Mais pour les professions indépendantes, c’est plus complexe. «Légalement, nous n’avons pas le droit de nous mettre en grève en tant qu’auteur·ices», souligne Aurélien Catin, membre du syndicat des travailleurs artistes auteurs de la CNT-SO.
Mais qu’à cela ne tienne, certains le font quand même. «Des auteur·ices ont prévenu leurs éditeurs qu’ils ne travailleront pas aujourd’hui, d’autres ont affiché qu’ils faisaient grève sur leurs réseaux sociaux…» détaille le syndicaliste et essayiste. «J’ai envoyé un mail à mon éditeur pour lui dire que je ne travaillerai pas aujourd’hui», sourit Natacha qui fait de la bande dessinée. «On ne répondra pas aux mails professionnels aujourd’hui», renchérit Nina. Côté intermittents, des comédiens prévoient tout de même de maintenir leur représentation ce jeudi. La grève se fait à l’instar «des médecins, des infirmiers. On se met en grève mais faut bien pouvoir manger», soupire l’un d’eux.
«Les mobilisations vont continuer»
Lionel Thompson, journaliste à France Inter et élu CGT est également venu, et fait grève pour protester contre la fusion de l’audiovisuel public souhaité par Rachida Dati, mais aussi car «nous occupons un rôle important dans la culture en France, nous sommes un gros diffuseur de productions musicales notamment». Un préavis général a été déposé par la CGT au sein de toutes les antennes de Radio France.
La place est noire de monde et, sous un soleil de plomb, tous entament une marche à travers Paris jusqu’au Palais-Royal. En cette journée de mobilisation, des dizaines de rassemblements se sont organisés à travers la France. Des préavis de grève ont été déposés dans plusieurs structures culturelles : le Ballet national de Marseille, le Théâtre national de l’Odéon, le Trempo à Nantes, le Centre national de la danse à Toulouse, la Comédie de Valence… La liste fournie par les syndicats en comprend des dizaines encore. A Besançon, la mobilisation s’est même accompagnée d’une occupation de la Direction régionale des affaires culturelles.
«Les manifestations qui ont lieu en province sont bien suivies, constate Salomé Gadafi, déléguée de la CGT spectacle. Et les mobilisations vont continuer, car pour le moment, nous ne sommes pas entendus.» Il n’y a eu «qu’un rendez-vous avec le cabinet du ministère de la Culture», peu concluant selon elle. A cette heure, Rachida Dati n’a pas répondu à l’appel des syndicats.