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Libération

L’Acropole, beauté bétonnée et défigurée

Le monument le plus visité de Grèce est actuellement soumis à des travaux qui, sous couvert de restauration et d’amélioration de l’accessibilité du site, risquent de transformer à jamais la colline au cœur d’Athènes.
«C’est un massacre de recouvrir ce monument, ces pierres...» fulmine l'historien Tasos Tanoulas. (Angelos Tzortzinis/AFP)
par Fabien Perrier, Correspondant à Athènes
publié le 2 mai 2021 à 12h10

«Un crime contre l’Acropole !» C’est ainsi que la présidente de l’association des archéologues de Grèce, Despina Koutsoumba, qualifie les travaux réalisés au sommet de la colline sacrée, classée au patrimoine de l’Unesco. Un mot pourrait les résumer : «bétonisation». En effet, un large chemin a été tracé pour déambuler autour des différents monuments du site : le Parthénon, l’Erecthéion, les Propylées ou le temple d’Athéna Niké. Pour le construire, du béton armé a été posé sur les roches antiques, recouvert ensuite de ciment. Désormais, le sommet de la colline, à 157 mètres au-dessus du niveau de la mer, ressemble plus à une voie cyclable ou à une piste de skateboard qu’à un site historique où admirer les vestiges de l’Antiquité. «Normalement, nous traitons nos monuments mieux que ça», déplore l’archéologue.

Tout a commencé à la fin du mois d’octobre 2020, dans une Grèce qui s’apprête alors à être reconfinée. «Mes anciens collègues m’ont dit de venir voir ce qui se passait sur l’Acropole. J’ai eu un véritable choc», livre à Libération Tasos Tanoulas, historien de l’architecture. Pendant quarante ans, il fut le restaurateur en chef du site. «Quand je dirigeais les travaux, nous les faisions à la main», se souvient-il. Par respect des lieux, par respect des pierres semble ajouter son regard attristé. Désormais, tout semble avoir été réalisé de façon quasi industrielle. «Ils ont utilisé des machines, lourdes, qui ont endommagé les lieux», se lamente Tanoulas. Les pierres antiques sont recouvertes, les matériaux utilisés ne respectent pas les principaux critères de conservation des lieux. Aussitôt, l’historien s’inquiète. «L’Acropole contient différentes preuves tangibles de notre passé. Il n’y a pas que les bâtiments qui constituent ce passé. Les pierres sont recouvertes. Une part de la compréhension de notre passé est donc, elle aussi, recouverte. Normalement, quand on restaure un monument, on n’efface pas les preuves. C’est un massacre de recouvrir ce monument, ces pierres…» En quelque sorte, les travaux priveraient le visiteur des différentes périodes de l’Histoire qui se concentrent sur cette colline : le XIIIe siècle avant Jésus Christ, quand fut érigé un premier mur autour du souverain mycénien local, le VIIIe siècle, quand elle acquit son caractère religieux, ou encore le Ve siècle où fut décidée la construction de nombreux monuments, dont le Parthénon.

Sans appel d’offres

Évidemment, du côté du ministère de la Culture grec et de l’architecte Manolis Korrès, qui a dirigé le projet, le regard porté sur les travaux est tout autre. Menés en collaboration entre la Fondation Onassis et le ministère, ils sont censés améliorer l’accessibilité du site, notamment aux personnes handicapées. Un nouvel ascenseur a été dressé sur le flanc nord du rocher ; il débouche sur la promenade. Mais ce parcours pose problème. En effet, la dalle en béton est haute et dangereuse ; elle surplombe de plus d’un mètre cinquante la roche originale. En outre, la pente de plus de 14 % à certains endroits rend la piste inaccessible aux personnes en fauteuil roulant. D’ailleurs, un accident a déjà eu lieu le 18 avril. Un homme a été projeté hors de son fauteuil roulant. Sa blessure a nécessité la pose de huit points de suture. Pour l’opposition, c’est la preuve d’un aménagement erratique. La ministre de la Culture, Lina Mendoni (parti de droite Nouvelle Démocratie) crie à la récupération politique de l’accident.

En réalité, il a réveillé nombre de doutes des responsables du site sur de possibles conflits d’intérêts. «De ce que nous savons, l’entreprise qui a effectué les travaux n’a jamais été spécialisée dans les travaux d’adaptation de sites pour les personnes handicapées», souligne une source au sein de l’administration de l’Acropole. Qui ajoute : «Nous nous demandons comment cette société a été choisie ; il n’y a eu aucun appel d’offres.» Autre sujet délicat : l’évacuation des eaux de pluie. En décembre dernier, le site a subi de graves inondations qui découleraient du ruissellement des eaux sur ce revêtement imperméable. «Les dangers sont nombreux : pour les visiteurs, qui risquent de glisser, mais aussi pour le monument, qui risque de se dégrader plus rapidement», déplore Tasos Tanoulas.

Malgré tout, Manolis Korrès, président du comité de restauration et de conservation des monuments de l’Acropole, également architecte qui a pensé et coordonné les travaux, reste droit dans ses bottes. «Le résultat me satisfait pleinement», a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse début avril. Il demande que chacun se forge une opinion quand le chantier sera terminé.

«Pour l’instant, Korrès n’a réalisé que la moitié de ses plans : il veut recouvrir presque tout le rocher», alerte Despina Koutsoumba. Des centaines d’historiens ont d’ailleurs signé une pétition appelant à l’arrêt des travaux. Dans le fond, tout le monde soupçonne que ce projet un peu mégalomane n’ait qu’une finalité : accélérer la cadence des visites, donc le nombre d’entrées sur le site… au mépris de l’Histoire, et même des règles de l’Unesco. En effet, l’organisme de l’ONU, en charge du patrimoine, aurait dû être prévenu avant que ne soient réalisés les travaux. Interrogée par Libération, la directrice de l’Unesco, Mechtild Rössler, confirme «avoir reçu des informations émanant de tiers, concernant les travaux qui se sont déroulés sur ce bien du patrimoine mondial». Sur des travaux réalisés, donc. Même l’Unesco semble avoir été mise devant le fait accompli. Au risque que l’Acropole soit à jamais meurtrie.