La chronique sentimentale est le genre le plus casse-gueule qui soit. Plus que sa petite sœur, la comédie sentimentale, avec ses demi-teintes et sa fantaisie enluminée, et plus que le haut mélodrame qui a pour lui le sérieux des passions dévastées. La chronique sentimentale se tient, elle, dans une position à peine tenable, le grand écart entre l’insignifiant léger et les échéances tragiques, les petits riens et les grands drames : la vie, la mort, l’amour, la maladie, l’enfantement, le temps qui passe, tout ça. A l’orée de 2025, un film anglais se colle à l’exercice avec moins d’audace et de réussite, mais une persévérance égale, qu’il y a peu Here, le beau chant du cygne de Zemeckis. Son titre français, l’Amour au présent, est encore plus falot que l’original, We Live in Time. Mais dans ces deux rares spécimens de chronique sentimentale, le «ici et maintenant» est le meilleur garant d’un chromo pour l’éternité de leurs récits bouleversés.
Jeu d’analogies
Et d’abord bouleversés dans leur volonté de faire pièce au déroulement ordonné, au récit classique et à son inéluctabilité, sa ligne droite. Here était une expérimentation miniature radicale (via l’IA), qui devait autant à l’artefact des destinées chères à Resnais qu’à l’écrin du décor-temps chez Minnelli. L’Amour au présent raconte un couple – de sa naissance amoureuse à sa persistance dans le souvenir –, mais dans le désordre, la chronique n’est pas chronologique. Ce qu’il y a de particulièrement attachant dans cette recension d’un amour par touches impressionnistes, c’est que John Crowley n’en fasse pas un exercice de style arty mais l’occasion d’une délicatesse très nue, à laquelle l’interprétation solaire et amortie de Florence Pugh (Almut) et Andrew Garfield (Tobias) contribue. L’émotion procède par échos, de moment en moment, l’émotion précède chaque scène et pour ainsi dire l’introduit : Tobias se réveille dans un lit en clair-obscur, seul, après un raccord de plan où Almut est venue lui faire goûter sa dernière trouvaille culinaire (elle est cheffe cuisinière) au seuil d’une nouvelle journée. Dans la collure, elle a disparu. L’intuition d’une émotion à naître fait vibrer le récit dans un jeu d’analogies et de proximité des séquences entre elles. La sincérité totale de l’Amour au présent emporte défauts et mièvrerie, dans sa sentimentalité minutieuse à laquelle peu de films se risquent. C’est rare, un vrai bon «feel not good» movie.