A chaque français, son 14 juillet ! Il y a ceux qui ne retiendront que la prise de la Bastille en 1789, symbole d’une France qui s’insurge et se révolte, d’une «France insoumise» comme l’on dirait aujourd’hui et ceux qui lui préféreront la date du 14 juillet 1790 et la fête de la Fédération, moment d’union nationale, de concorde. Une date qui divise et l’autre qui se veut réconciliatrice. Laquelle de ces deux dates célèbre-t-on alors ? Les deux, en fait, avec l’accent plutôt mis sur l’une ou l’autre au gré des époques.
Mis en veilleuse sous Thiers, réanimé en 1880
Après la défaite de 1870 et la répression sanglante de la commune, Adolphe Thiers ne rêve que d’une république modérée ou seuls les citoyens payant l’impôt, le cens, auraient le droit de voter. Bref le choix d’une République éclairée face aux excès d’une plèbe, prompte aux excès révolutionnaires. Pas question pour lui d’une quelconque célébration du 14 juillet qui risque de se traduire par des banquets ou des réunions politiques en faveur d’une République vraiment démocratique. Dans une note confidentielle, Thiers signifie que toute manifestation ce jour sera «hors la loi».
Il faudra attendre 1880 pour que le 14 juillet devienne officiellement jour de fête nationale. En mai, le député Benjamin Raspail dépose une proposition de loi pour que soit instaurée une fête nationale le 14. Dans cette troisième République encore balbutiante, en proie à la plus vive opposition de la part des monarchistes et des catholiques, les débats vont très vite se focaliser sur le choix de l’année. De crainte de réveiller les vieilles passions, l’Assemblée nationale décide de célébrer non pas la prise de la Bastille et ses têtes brandies sur des piques mais la fête de la Fédération donc le 14 juillet 1790. «N’oubliez pas qu’après la journée du 14 juillet 1789, il y a eu la journée du 14 juillet 1790. Cette journée-là, vous ne lui reprocherez pas d’avoir versé une goutte de sang, d’avoir jeté la division à un degré quelconque dans le pays, Elle a été la consécration de l’unité de la France. Oui, elle a consacré ce que l’ancienne royauté avait préparé. L’ancienne royauté avait fait pour ainsi dire le corps de la France, et nous ne l’avons pas oublié ; la Révolution, ce jour-là, le 14 juillet 1790, a fait, je ne veux pas dire l’âme de la France – personne que Dieu n’a fait l’âme de la France – mais la Révolution a donné à la France conscience d’elle-même ; elle a révélé à elle-même l’âme de la France», explique le rapporteur de cette loi qui tient en un article promulgué le 6 juillet 1880 sous la présidence de Jules Grévy. «La République adopte la date du 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle.» Fermez le ban ! Un article qui ne fait référence à aucune date.
Une autre histoire de date...
Et d’où vient le défilé?
En 1790, face au délitement du pouvoir central, les grandes régions se sont dotées de fédération de gardes nationaux. La Fayette qui commande la garde nationale parisienne décide de toutes les réunir à Paris en cette journée du premier anniversaire de la prise de la Bastille. Plus de 100 000 hommes défilent au son des tambours et sous les acclamations des parisiens juchés sur des talus élevés pour l’occasion. Au nom de la garde nationale, La Fayette jure alors fidélité, à la loi et au roi. La garde nationale s’engage à maintenir la constitution acceptée par le roi et à assurer la protection de la sûreté des personnes. La tradition du défilé militaire naît de ce jour. Ce 14 juillet 1790 pose également les prémisses du lien Etat-Nation qui connaîtra une première concrétisation avec la levée en masse de 1792 et la naissance du citoyen-soldat appelé à défendre la Nation, l’ensemble du peuple, contre ses ennemis.
En 1880, la troisième République organise également un défilé militaire sur l’hippodrome de Longchamp. Le jeune régime joue alors sur deux tableaux. D’abord entretenir l’esprit de mobilisation des Français pour reconquérir les provinces perdues depuis la défaite de 1870, l’Alsace et la Lorraine, grâce à l’Armée et également s’attirer les bonnes grâces des militaires réputés conservateurs et proches des milieux monarchistes. Ce n’est qu’en 1919, pour le défilé de la victoire, que les troupes arpenteront les Champs-Elysées.