La pandémie de choléra de 1832, qui tua près de 100 000 Français en moins d’un an, s’acheva dans un deuil aussitôt effacé par une véritable boulimie de théâtre. Lucrèce Borgia de Victor Hugo, qui attendait depuis des mois la reprise des arts et spectacles, connut un succès retentissant, bientôt suivi de bien d’autres œuvres pourtant moins illustres : Bertrand et Raton de Scribe apporta à la Comédie française ses meilleures entrées depuis des années, tandis que l’on se battait pour avoir accès aux Folies dramatiques, qui présentaient Robert Macaire avec Frédérick Lemaître. Le succès des théâtres parisiens cette année-là fut colossal et fit la fortune de leurs gérants, qui se plaignaient de ne pas avoir assez de salles pour répondre à la demande. Le gouvernement finit par interdire en 1835 ces spectacles auxquels les Français prenaient un plaisir surdimensionné qui l’inquiétait.
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Les directeurs de théâtres de 2021 n’en demandent sans doute pas tant : si nombre de spectacles affichent déjà complets, de leur réouverture le 19 mai jusqu’aux vacances d’été, il faudrait, pour pouvoir les présenter, que les protestataires qui occupent toujours nombre de théâtres dans toute la France acceptent de rentrer chez eux. Mais ont-ils un «chez eux» ? Intrigué par le succès inattendu de sa pièce, Hugo en tira le développement majeur des Misérables : les pauvres endeuillés cherchant à se venger des riches qui avaient fui le choléra dans leurs manoirs de province. Pas de protestation politique autour des salles de cinéma, mais une inquiétude pas si différente : le 7e art peut-il retrouver son public populaire, qui s’est peut-être habitué à payer bien moins grâce au streaming de confinement ? Avec la jauge maximale décrétée par le gouvernement pour ce mercredi de réouverture, l’industrie va avoir du mal à se remettre rapidement de la terrible année du Covid. La meilleure façon de l’aider est claire : sortons !