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Libération
Pièce sonore

«Le Corps Living Room» d’Anne Le Troter, sur le tabou de la langue

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A la galerie Frank Elbaz et à la Ménagerie de verre à Paris, Anne Le Troter déploie une nouvelle œuvre sonore chorale où le politique se tient en embuscade derrière les histoires de cul.
Depuis une petite dizaine d’années, Anne Le Troter, 38 ans, travaille la plasticité du langage et la façon dont il est pétri d’injonctions capitalistes de rendement. (Hervé Veronese)
publié le 20 octobre 2023 à 3h36

«A force de faire la femme tronc, j’ai bien failli oublier mon cul», assure, cash, l’une des voix de la dernière pièce chorale d’Anne Le Troter, le Corps Living Room. Durant une trentaine de minutes, six garçons et filles pratiquent l’orgie verbale. Ils sont intarissables, monologuent, s’invectivent. Assis sur un banc tendu de câbles audio ou adossé aux murs de la galerie où des bas-reliefs en étain présentent de drôles de figures onanistes tout en assumant leur fonction de matériau conducteur, l’auditeur, lui, tend l’oreille pour mieux pénétrer dans cette forêt de voix augmentée de hululements de chouette ou de piaillements d’oiseaux. On y raconte «les tampons dans les buissons», on y assure qu’ici «ils fleurissent, mes mégots» comme on vanterait ses propres charmes. Et puis, l’une des voix dit encore : «Pas de retraite pour les objets : ils meurent au travail.» Tiens, voilà qu’apparaissent soudain deux notions – la retraite, le travail – qui appartiennent davantage au champ social qu’à la poésie ou à la pornographie. Et en écoutant l’artiste démêler sans déflorer ce qui au départ a nourri sa pièce, on se dit que derrière ces histoires de cul, de hulottes et de buissons, le politique doit bien être en embuscade.

Objet inanimé

Depuis une petite dizaine d’années, Anne Le Troter, 38 ans, travaille la plasticité du langage et la façon dont il est pétri d’injonctions capitalistes de rendement. Elle s’est intéressée à la petite musique bien rodée des enquêteur