«C’est la douche froide», assure l’un des professeurs de l’école des beaux-arts de Chalon-sur-Saône. «On nous a laissés nous inscrire sans nous informer sur le risque de fermeture de l’école. Le risque de se retrouver sans rien après un ou deux ans d’étude et de frais engagés est très déstabilisant», renchérissent les étudiants de première et deuxième année de l’Ecole média art de Chalon-sur-Saône. Le 24 novembre, les uns et les autres ont découvert dans la presse locale, sur le site de nos confrères d’Info Chalon, que l’avenir à court terme du cycle supérieur de l’école était menacé, voire carrément enterré. «Une décision de fermeture qui s’appliquera dès le mois de septembre prochain, avec des solutions qui pourraient même intervenir dans les semaines à venir», écrit le journaliste.
Ce scénario catastrophe vient gonfler la liste des récits anxiogènes qui remontent depuis quelques mois des 33 écoles d’art territoriales fragilisées par une crise conjoncturelle (le prix de l’énergie pour des écoles qui sont souvent des passoires thermiques et l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires, qui ont creusé de gros trous dans les budgets de fonctionnement) mais aussi structurelle, en raison de leur dépendance aux collectivités territoriales. Prises en sandwich entre des collectivités (qui parfois ne voient pas bien ce que pareils ovnis, difficiles à évaluer, peu rentables, leur apportent) et un désintérêt flagrant du ministère de la Culture qui, en laissant faire, contribue à détricoter ce qui jusque-là offrait un maillage assez dense d’établissements d’enseignements supérieurs de l’art, elles tirent sérieusement la langue et peinent à défendre leur modèle. Parmi elles, l’école d’art de Valenciennes, l’une des plus anciennes de France, avec près de 200 ans au compteur, est celle qui accuse le plus le coup et devrait fermer d’ici deux ans tout au plus.
«Ce n’est pas une question financière»
A Chalon-sur-Saône, où l’école d’art, l’une des plus petites de France a néanmoins vu passer nombre d’artistes, diplômés ou intervenants, de Lucas Léglise à Laurent Montaron, en passant par Gerald Petit ou Mimosa Echard, le président de la communauté d’agglomération du Grand Chalon, Sébastien Martin, qui est également le président du conseil d’administration de l’école, se réfugie derrière un rapport d’évaluation «réservé». Il a été rendu par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) qui évalue les écoles d’art avant l’été. «Nous avons également reçu le 14 novembre un courrier de la personne chargée de l’enseignement supérieur au Ministère de la Culture nous informant qu’ils allaient retirer l’accréditation des diplômes», nous assure Sébastien Martin au téléphone.
Mais pour le Snéad-CGT, le syndicat national des écoles d’art et design, la manœuvre est un peu grossière : «On ne peut que s’étonner de l’empressement du président du Grand Chalon à abonder dans le sens de la préconisation, là où il devrait plutôt défendre avec fierté et conviction le rôle essentiel de l’école pour le territoire […] Il nous semble donc désormais clair que l’agglomération cherche à camoufler sa volonté propre de mettre fin à l’enseignement supérieur de l’Ecole média art derrière une prétendue injonction ministérielle», a-t-il fait savoir dans un document intitulé «Le Grand Chalon, fossoyeur de l’Ecole média art».
«Je n’ai plus de diplôme validé par l’Etat, que voulez-vous que je fasse ?» se défend Sébastien Martin qui rappelle qu’en quelques années il a dû faire face à plusieurs changements de direction à la tête de l’école, qu’il porte à bout de bras sans qu’il n’ait jamais baissé le budget dont le Grand Chalon est le principal financeur : 1,468 million, dont 1,4 million assumé par la seule communauté d’agglomération. «Ce n’est pas une question financière, assure Sébastien Martin. Sur les enseignants, 15 sur 21 dépendent de nous et nous avons obligation de leur retrouver un poste, nous ne ferons pas d’économies, tout au plus sur les intervenants extérieurs.» Même chose pour les étudiants, 53 inscrits cette année, dont «nous avons l’obligation de les accompagner jusqu’à la fin de leur parcours. On a pris des contacts avec les écoles d’art de Dijon, de Besançon et de Bourges, pour savoir s’il existe la possibilité de créer des passerelles. Des équivalences universitaires seront également possibles». Mais que l’on se rassure, les pratiques amateur seront en revanche maintenues, assure l’élu. «L’école ne ferme pas», martèle l’élu avant de rappeler le ratio suivant, selon une certaine logique comptable qui en dit long sur la méconnaissance de ce que sont réellement ces écoles des beaux-arts : une cinquantaine d’étudiants dans le cycle supérieur contre 450 inscrits (essentiellement des enfants ou des retraités) au cours du soir.
«On a peur pour notre avenir»
A l’ordre du jour du conseil d’administration de l’école qui se tiendra ce jeudi 30 novembre en comité hyper restreint, il est prévu un «échange concernant le futur de l’école». Quant au recrutement d’un futur directeur pour remplacer Robert Llorca, dont le contrat s’achève officiellement fin décembre, rien n’a été lancé à ce jour. Pourtant, Lilou Rapinat, l’une des 22 étudiants recrutés cette année en première année et qui parle au nom de toute sa promo, veut encore y croire : «On a peur pour notre avenir, on a passé un concours en début d’année, on est là pour trois ans normalement, raconte cette membre de l’association étudiante de l’école, Club Made. Mais nous ne voulons pas croire que l’école va fermer, nous voulons espérer et appelons Sébastien Martin à nous soutenir.»
Derrière le cas problématique de Chalon, seule école d’enseignement supérieur artistique de Saône-et-Loire, se cache un autre nœud. Un enseignant se souvient que lors de l’audit de l’HCERES il y a un an, les inspecteurs avaient indiqué que ce n’était pas tant le niveau pédagogique de l’école qui était en cause que son statut juridique. Car l’établissement de Chalon est un cas à part, l’une des rares parmi les 33 écoles territoriales à ne pas être rentrée dans les rangs des EPCC (établissement public de coopération culturelle) au tournant des années 2010. «L’école d’art de Valenciennes est bien un EPCC non ? rétorque Sébastien Martin avant d’ajouter. Ça ne les empêche pas de fermer.»