Contrairement à la Recherche du temps perdu, personne ne dit jamais qu’il relit l’Esthétique de la résistance, ce monument dense et compact de 887 pages, que Peter Weiss commença à écrire à l’aube de la cinquantaine et qui explore le parcours et les échecs d’un petit groupe de jeunes gens – le plus jeune a 15 ans – résistants à la montée du nazisme et au stalinisme, qui choisissent de se retrouver exclusivement dans des musées ou galeries. Ou plutôt, ses poignées de lecteurs ne cessent d’y revenir par bouts et de s’y référer, mais ils œuvrent, expérience de lecture rare, par groupe aussi souterrainement que les protagonistes du livre-monde qui les occupent. En revanche, la plongée en cinq heures et demie qu’en propose Sylvain Creuzevault et les dix-sept acteurs au plateau donne immédiatement envie de revoir ce spectacle-paysage, foisonnant de registres de jeu différents, de recherches, d’expériences de mise en scène mais aussi de sonorités. On entre comme si elle allait de soi dans la phrase sans emphase et privée de suspension de Peter Weiss, qui surgit parfois, par bloc sur un tulle sombre transparent et mouvant, couleur de deuil. Du moins, on se meut dans son rythme, sa rapidité, en lâchant parfois les amarres du sens au profit du flot.
Substance rêveuse
Pourquoi le revoir puisqu’on vient de le voir ? Et bien entre autres parce que la mise en scène invite à une expérience rare : celle d’entrer dans la matérialité d’un texte autobiographique, qui de la guerre civile espagnole a