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«L’expert» : la RFA sur le billard

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«L’Expert» de Jennifer Daniel décortique, à travers un employé de morgue de Bonn dans les années 70, les travers d’une société allemande tiraillée entre ses vieux démons et ceux qui naissaient alors.
Planche extraite de «l'Expert», de Jennifer Daniel. (Jennifer Daniel/Casterman)
publié le 13 janvier 2024 à 14h08

Tous les photographes à l’ancienne le savent : ce n’est que dans la chambre noire que se révèle la lumière. De l’éclairage rouge viennent les images, et d’un visage sans vie apparu sur le papier ressurgissent des souvenirs enfouis, en gris et blanc, de la guerre, de l’engagement à 18 ans dans la Wehrmacht, de la culpabilité. Heureusement, il suffit de sortir de la pièce pour tout laisser derrière soi. Ou pas ?

1977, Monsieur Martin est un employé anonyme d’une morgue de Bonn, la capitale de la RFA. Il est chargé de photographier les cadavres pour les dossiers de décès. Sa vie est celle d’un homme quinqua de son époque : rasage, after-shave et une goulée de gnôle le matin, des journées à travailler, puis des soirées à fumer, boire et à jouer aux cartes dans des bars avec des amis, le tout en portant un intérêt assez limité à sa femme et à son fils adulescent avec qui, forcément, le dialogue est compliqué. Les couleurs sourdes de son quotidien tranchent avec le chaud des pages d’une autre protagoniste, Miriam, jeune femme de gauche, proche de la Fraction Armée Rouge. Jusqu’au jour où Monsieur Martin se retrouve impliqué dans un accident de voiture. Ses certitudes basculent, la banalité du mal l’interroge, et le pusillanime fonctionnaire va se révéler détective. L’homme aux épaules et aux joues tombantes va dans les cases se redresser, passer de colline endormie à pic éruptif.

L’autrice Jennifer Daniel est née en 1986, dix ans après la période qu’elle raconte dans l’Expert