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Libération
Lundi poésie

2025 sous le feu de 118 poètes

Poésiedossier
Editée en partenariat avec le Printemps des poètes, l’anthologie présentée par Jean-Yves Reuzeau ressuscite l’«Année poétique» des éditions Seghers et donne à voir l’esprit d’un certain volcanisme (doutes, colères, illusions, espoirs) qui anime la création contemporaine.
Jean-Yves Reuzeau. (Léna Tritscher/Effets Libération)
publié le 20 janvier 2025 à 13h45

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Le poème est-il un acte de résistance ? La question agite les têtes tant les multiples crises (économiques, environnementales, géopolitiques, de l’accueil migratoire, etc.) troublent nos temps. Mais de quelle résistance parle-t-on ? Aux formes de discours dominants ? Aux dominations au sens large ? A l’impérialisme ? Aux conventions sociales ou linguistiques ? S’agit-il d’une expression patiente ou d’un volcanisme déferlant, comme le défend la nouvelle directrice du Printemps des poètes Linda Maria Baros, qui a choisi ce thème pour l’édition 2025 à venir ? Autant de pistes explorées par les auteurs et autrices réunis par Jean-Yves Reuzeau, «sans orientation partisane ni querelle de chapelle» et toutes générations confondues, dans Esprit de résistance, chez Seghers.

Le poète et «éditeur de poètes», cofondateur du Castor astral, rassemble dans cet ouvrage à paraître fin janvier «118 poètes d’aujourd’hui» (également des paroliers et romanciers) français ou issus de la francophonie (de la Belgique à Haïti, du Québec au Liban). L’objet, édité en partenariat avec la manifestation nationale chahutée l’an dernier par une controverse autour de son parrain, est aussi le come-back d’une publication «restée mythique», affirme son directeur, «l’Année poétique», publiée chaque année par Seghers dans les années 70 et 2000, aperçu d’un an de création poétique contemporaine. L’on retrouve d’ailleurs dans le millésime de 2025 certains auteurs (William Cliff, Annie Le Brun et Jacques Réda, etc.) déjà au sommaire il y a cinquante ans.

Cette anthologie annuelle – des «textes inédits et écrits pour l’occasion» – entreprend ainsi de continuer à rendre compte du foisonnement de la poésie contemporaine, attesté depuis une dizaine d’années, permis par l’opiniâtreté de l’édition indépendante, des manifestations de poésie – contre lesquelles les poètes parfois entrent en résistance – et de libraires. Elle tente de montrer au lecteur sa diversité formelle, de supports (du livre aux réseaux sociaux) et de ses préoccupations (écologiques, féministes, sur l’exil, la guerre, l’intolérance, etc.) ; mais sans prétention d’exhaustivité.

«Les auteurs présents vivent parmi nous, avec leurs peines et leurs joies, leurs doutes, leurs inquiétudes, leurs colères. Ils parlent d’amour et de mort, mais aussi d’illusions et d’espoir», énumère à ce propos Jean-Yves Reuzeau. Illustrations avec ces quelques vers de l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun sur Gaza («Dans le fracas des corps / Qui tombent / Ceux des enfants /Font /Moins de bruit»), d’Hortense Raynal («Deuxième journée de grand banditisme. Elle dit encor : /J’ai un utérus dans le cœur il peut faire naître des choses / genre / un feu d’artifice / une nuque vue de trois quarts / l’amour avec une fille») ou de Séverine Daucourt («Souvent tu te demandes comment – comment faire comment alerter comment bifurquer et par où commencer –, tu es parmi les premiers à subir et parmi les derniers à pouvoir agir, tu trouves que le costume est trop grand tu flottes dedans»). Si «toute beauté fait résistance», comme l’affirme Olivier Barbarant, alors cet «esprit» est particulièrement vivant chez ceux ou celles qui font vivre la poésie.

Esprit de résistance. L’année poétique : 118 poètes aujourd’hui, sous la dir. de Jean-Yves Reuzeau, éd. Seghers, 400 pp., 20 euros.

L’extrait

Maud Thiria

Langue torse (extrait)

langue que coupe

la brisure des lames

plus jamais tiède molle langue

plus jamais arrachée empêchée langue

coupe langue coupe feu

coupeuse de feu et incendiaire langue

abyssale paradoxale dorsale

plus jamais se le dire répéter plus jamais

un ça suffit de nuit susurré à l’oreille collée aux plumes

langue ritournelle retournée en révolte

chant mantra où naître mille et une vie contre la nuit contre

langue luciole éveillée animale de champ sur pollution des terres

langue que ne couple plus

le rivage mais l’habite le sculpte

à crue sans attaches langue déliée

recousue dépliée