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Jeudi polar

«A la gorge», bataille de psys torturés

Après «Somb» et «Je suis le feu», l’autrice Max Monnehay redonne du service à son héros récurrent, Victor Caranne, thérapeute à la prison de l’île de Ré, confronté à la réouverture d’un cold case.
La prison de Saint-Martin de Ré. (Tripelon. Jarry/Only France. AFP)
publié le 7 mars 2024 à 9h44

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Pour une fois qu’un héros est migraineux, on ne va pas se plaindre. On aime bien, les héros migraineux, surtout quand ils se nomment Victor Caranne, ce personnage récurrent créé par Max Monnehay, psychologue carcéral à la prison de l’île de Ré le jour et détective la nuit, ou l’inverse, ça dépend. Après Somb en 2020 (couronné par de nombreux prix) et Je suis le feu en 2022, tous deux publiés au Seuil, A la gorge est le troisième volume consacré aux aventures de ce détective improvisé, forcément hanté par des fantômes, et notamment celui de la femme aimée.

Tout commence à la Citadelle, le quartier de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré. Victor Caranne y est appelé un jour par un détenu du nom d’Emilien Milkovitch, qui préfère qu’on l’appelle Milou. Incarcéré pour avoir tué une jeune femme, Roxanne, et le jeune homme qui se trouvait avec elle, il tient à affirmer une nouvelle fois son innocence. Et s’il veut voir Caranne, c’est pour lui dire que, d’ici une semaine, si rien n’a bougé, il compte mettre fin à ses jours. Il n’en peut plus de payer pour quelqu’un d’autre. Son interlocuteur est d’abord réticent. Il connaît le jeune homme tué avec Roxanne, c’est le fils d’Héléna, la psy qui a longtemps tenté de lui faire oublier sa culpabilité après la mort de sa compagne. Et il sait à quel point la tragédie a brisé cette femme qu’il admire au-delà du raisonnable. Mais quelque chose dans le comportement et le regard de Milou le fait soudain douter. Et si, en effet, l’homme n’avait rien à voir avec ces meurtres ? L’idée qu’un possible innocent se suicide sans qu’il ait tenté quoi que ce soit lui est insupportable.

«Papesse du deuil»

Victor Caranne va donc se replonger dans l’affaire au côté d’Anaïs, une jeune flic de la PJ de la Rochelle qu’il est parvenu à convaincre qu’un innocent risquait de mettre fin à ses jours. Et ils vont vite comprendre que quelque chose cloche, l’enquête a été bâclée, des éléments importants manquent dans les PV. Le tandem, heureusement, est soudé. Caranne et Anaïs ont ensemble été confrontés par le passé au corps massacré d’une fillette et cela a créé des liens. «Caranne avait compris d’où venait la pugnacité de la jeune femme, écrit Max Monnehay. Comme lui, elle cherchait obstinément à régler une dette ancienne, sans savoir ni comment ni même à qui. A la différence près que lui savait que souffrir ou s’offrir en sacrifice ne rachèterait jamais leurs fautes. L’autopunition était un leurre dont on devenait vite accro.»

Caranne va retourner voir son ancienne psy, qui ne lui a plus donné signe de vie depuis la mort de son fils. Peut-être détient-elle un indice, même infime, qui lui permettrait de tirer un fil. Héléna est une femme brisée. Incapable de surmonter son chagrin. «Comment l’aurait-elle pu ? Si elle n’avait pas été si dure avec [son fils], si elle l’avait laissé suivre sa propre route, jamais il n’aurait cherché la transgression dans les bras de Roxanne. Jamais il ne se serait trouvé dans son appartement cette nuit-là. La tristesse, abyssale, vint peu à peu prendre la place du malaise, et elle tomba à genoux sur la terre sèche et dure. Elle, la “papesse du deuil”, comme l’avait appelée un jour un magazine de vulgarisation de psychologie, n’avait jamais réussi à faire le sien.»

A la gorge est un polar bien ficelé, entre fausses pistes et rebondissements, jusqu’au coup de théâtre final, forcément déconcertant. Les héros sont attachants, accompagnés de personnages secondaires un peu loufoques qui sont là pour détendre l’atmosphère. Un peu trop, parfois. Max Monnehay a un vrai talent pour bâtir des intrigues policières au cordeau, mais on sent une tendance dans ce livre-là à user un peu trop des grosses blagues un peu lourdaudes. On lui pardonne car l’ensemble tient bien et, décidément, on a un vrai faible pour Victor Caranne et ses migraines.

A la gorge, Max Monnehay, Seuil, 368 pp, 20 euros